Quand on parle de projets à long terme comme trouver un travail, réussir ses études, créer son entreprise, courir un marathon, ou devenir expert en danse bretonne, on s’aperçoit que ça s’accompagne presque toujours de difficiles efforts à faire. Certains parlent même de sacrifice, comme s’ils perdaient une partie de leur vie (genre, perdre leurs amis) pour en réussir une autre (genre, réussir leurs études) ! Lorsqu’on réussit de tels projets, c’est avant tout qu’on a fait les choix qu’il fallait au jour le jour, c’est-à-dire qu’on a adopté le mode de vie qui permettait d’atteindre notre but (et pas sûr que perdre ses amis soit un bon choix 😉 ).
Nous avons déjà vu que si on veut faire le bon choix, il faut d’abord qu’on ait bien compris à quoi nous mène chaque choix possible. Si par exemple j’hésite entre la glace au chocolat et celle à la physalis, mais que je ne sais pas ce qu’est la physalis, et bien je ne peux pas savoir si je fais le bon choix avec le chocolat ! Mais au-delà de connaître les conséquences de ses choix, il faut aussi avoir une bonne dose de « self-control », comme disent les chercheurs en psychologie, pour résister aux divertissements de tous les jours qui nous écartent du chemin qu’on veut suivre.
Le choix de base : graines, ou miettes ?
Il existe tout un pan de la psychologie qui étudie la manière dont on fait les choix, et comment faire les bons choix (c’est la psychologie du « self-control »). C’est étudié autant chez les humains que chez les animaux, qui eux aussi font des choix, si si. Par exemple, si je mets un pigeon dans une cage avec des graines de maïs et avec des miettes de pain, et que j’attends, je vais voir le choix que fait le pigeon : plutôt les graines, ou plutôt les miettes ? Le mettre dans cette situation, c’est déjà comme lui poser la question finalement. D’ailleurs, si à chaque fois que je le mets dans cette situation il choisit les miettes, je pourrais dire que le pigeon préfère les miettes par rapport aux graines. Et voilà, j’aurais réussi à demander à un pigeon si dans la vie il préfère les miettes ou les graines !
Un choix plus compliqué
Le choix entre graines et miettes est un choix simple, comme on en fait souvent : des choix entre des activités immédiates de la vie de tous les jours : soit je mange tout de suite la glace au chocolat, soit je mange tout de suite la glace à la vanille, soit je prends un verre d’eau, soit je vais prendre une douche… Ces choix, bien que courants, peuvent s’avérer très compliqués pour certains d’entre nous ! Par exemple si la société nous explique qu’il n’est pas bon pour notre de ligne de manger de la glace, résister à la tentation de la glace peut être un choix très difficile à gérer.
Mais commençons par un dilemme un peu moins compliqué que choisir entre la glace et sa ligne. Prenons un dilemme qui mettrait tout de même en jeu un objectif important pour moi : est-ce que je mets mon réveil pour demain à 6h du mat’, parce que j’ai une montagne de choses à faire le lendemain, ou bien est-ce que je ne mets pas mon réveil du tout ? Généralement, quand les choses à faire le lendemain sont importantes pour moi (par exemple, mon objectif est d’aller acheter les cadeaux de Noël parce qu’on est le 23 décembre, ou bien c’est de réviser pour l’exam que j’ai oublié de réviser mais qui a lieu à 14h… ), je mets mon réveil. Mais lorsque mon réveil sonne à 6h le lendemain, je me retrouve face à un autre choix : est-ce que je me lève vraiment, ou est-ce que j’éteins mon réveil et me rendors ? Je dis que ces choix sont compliqués, parce qu’on s’aperçoit que parfois, les gens mettent leur réveil, mais le lendemain quand le réveil sonne, ils préfèrent se rendormir ! Ils ont fait un choix la veille (se lever à 6h du mat’), et font le choix contraire le lendemain ! Et on le sent bien : la veille, on est surmotivé pour faire plein de choses dans la journée suivante, mais quand le réveil sonne pour de vrai, pas moyen de se lever, la motivation a disparu !
Cette situation, les psychologues l’appellent une ambivalence simple. Une ambivalence, c’est quand on hésite et qu’on change d’avis (et du coup c’est quand on n’est pas très cohérent avec nous même, comme par exemple quand je dis à un ami que promi, la semaine prochaine je vais faire un footing dans le froid avec lui, mais que quand le jour-J arrive, j’ai la flemme ). L’ambivalence simple, c’est lorsque notre avis n’est pas le même en fonction du moment où on se pose la question (la veille au soir : « Oui oui je vais me lever à 6h, juré ! » ; mais le matin à 6h : « Pff, non c’est mort je me lèverai plus tard !» Et oui, on est tous pareil ! 😉 ). Dans l’ambivalence simple, (ne nous voilons pas la face) quand l’activité difficile à faire est lointaine, on dit que oui oui on la fera. Et puis bizarrement, quand il faut la faire là-maintenant, on préfère faire autre chose qui est plus facile. C’est pour ça que l’ambivalence est dite « simple » : on est capable de prédire comment va évoluer la préférence à mesure que le choix se rapproche.
Le « self-control », ou comment contrôler sa vie en faisant les bons choix
Mais qu’est-ce que tout ce blabla a à voir avec le self-control ? Le self-control, c’est justement notre « force intérieure » qui nous permet de faire ce qui est bon pour notre vie sur la durée (sur le « long terme »). Par exemple, tout le monde sait qu’il est bon de faire du sport dans la semaine. Mais quand il faut se bouger pour vraiment aller à la salle de sport, alors là il y a tout de suite moins de monde ! Parmi les gens qui disent : « Oui tu as raison, il faut que je m’inscrive à une salle de sport, ou à un club de sport », ou même parmi les gens qui s’inscrivent vraiment à la salle de sport ou dans le club, et bien certains n’y vont jamais ! Ça c’est de l’ambivalence simple toute crachée, et on pourrait dire que c’est un manque de self-control.
Mais heureusement, il y a Findus, qui arrive avec des super techniques pour se sortir de l’ambivalence simple ! Un petit exemple : imaginons qu’au bout de quelques jours où je n’arrive pas à me réveiller quand mon réveil sonne, ça m’agace, et que le lendemain je veux vraiment me forcer à me lever quand il sonne. Ma technique : mettre mon réveil à l’autre bout de ma chambre. Du coup je sais que ça me forcera à me lever, je n’aurai pas le choix. Et oui, car l’ambivalence simple apparaît quand on a à nouveau le choix au moment de faire l’activité difficile. Avec mon réveil à l’autre bout de la chambre, je ne me laisse plus le choix : je suis forcé de me lever à 6h. En quelques sortes, j’ai fait disparaître l’ambivalence simple. Une autre technique serait de mettre une tapette qui me donne une baffe si je décide d’éteindre mon réveil et de rester dans mon lit. Dans cet exemple, j’ai encore le choix, mais il y a une punition en bonus si je fais le choix de rester dans mon lit… Un peu radical, mais ça marche bien !
Le self-control des pigeons (oui oui vous avez bien lu 😛 )
Mais revenons à nos pigeons ! Des chercheurs en psychologie ont pu faire vivre toutes ces situations à des pigeons, pour voir comment ils réagissaient. Evidemment, pas exactement les situations desquelles j’ai parlées, avec la salle de sport ou le réveil, mais des situations psychologiquement identiques.
Dans une première expérience, on met un pigeon (qui a faim) dans une cage avec deux boutons. Le premier bouton donne 2 grammes de nourriture, le second en donne 4. Pas fou, notre pigeon comprend vite, et il choisit le second bouton à tous les coups. Ensuite, pour faire douter notre ami pigeon (gniark gniark gniark), on met des minuteurs sur les boutons : le bouton 1 donne tout de suite les 2 grammes de nourritures, tandis que le bouton 2 donne toujours 4 grammes, mais seulement au bout de 4 s d’attente. Alors, que fait notre ami ? Surprise : il choisit le bouton 1 ! Et oui, il préfère avoir tout de suite la nourriture que de l’attendre 4s. Pourquoi ? Parce que les 2 grammes de nourriture sont immédiats, juste là sous son nez, trop tentants ! Un peu comme si vous étiez affamé et qu’on vous proposait 2 biscuits tout de suite ou 4 biscuits dans 10 minutes… Dur de résister hein? 😉
Encore plus fort : on change les minuteurs et maintenant il faut attendre 10 s pour avoir les 2 grammes avec le bouton 1, et 14 s pour avoir les 4 grammes avec le bouton 2. Il y a toujours 4 secondes de différences entre les 2 boutons, mais le pigeon repasse sur le bouton 2 ! L’explication, c’est que les 2 grammes n’arrivent que 10 s plus tard, donc ils sont lointains (à l’échelle du pigeon). Le pigeon résiste à leur tentation, et il choisit les 4 grammes dans 14 s. Là, c’est comme si on vous proposait 2 biscuits dans une heure, ou 4 biscuits dans 1h10 : hop, on préfère attendre un peu plus et avoir plus de biscuits !
Et enfin, voici une dernière expérience, quasiment la même que la précédente, sauf qu’on donne le droit au pigeon de changer d’avis au bout de 10 s (les 2 boutons s’illuminent à nouveau, signifiant qu’il peut réappuyer). Et bien devinez ce qu’il fait ! Ce pigeon est exactement comme moi lorsque je mets mon réveil pour le lendemain, mais lorsque la tentation de rester dans mon lit est juste sous mon nez, j’ai du mal à résister ! Et bien le pigeon fait comme nous, il change d’avis : il choisit d’abord le bouton 2, mais après avoir attendu 10 s, il appuie sur le 1 pour avoir 2 grammes de nourriture immédiatement au lieu d’attendre la fin du bouton 2 pour avoir deux fois plus ! S’il avait appuyé directement sur le bouton 1, il aurait eu la même chose, mais là le pigeon choisit d’abord le 2, puis il change d’avis !
Dans toutes ces situations, il faut bien voir que l’activité « relou » (se lever à 6h, attendre pour manger 4 grammes de nourriture alors qu’on a faim, aller courir dans le froid…) est motivante car elle est meilleure pour nous sur le long terme. Choisir cette activité plutôt que les activités « cools » (mais moins bonnes pour nous sur le long terme, comme dans nos exemples rester au lit, prendre les 2 grammes de nourriture tout de suite, ou rester devant sa télé au lieu d’aller courir), c’est ce qu’on appelle le self-control.
Le pigeon : un humain ordinaire ?
Figurez-vous que les chercheurs ont testé encore plus loin le self-control des pigeons : dans d’autres expériences, on propose aux pigeons le système de la gifle automatique, pour qu’ils évitent de succomber à la tentation des 2 grammes de nourriture immédiats. En fait on reprend l’expérience du changement d’avis, mais avant le choix, le pigeon fait un premier choix : il peut activer un coup de jus qu’il se prendra s’il change d’avis lors du choix entre les 2 boutons. Et bien les pigeons choisissent cette technique, qui leur met un coup de jus s’ils choisissent le bouton 2, puis qu’ils changent d’avis au bout de 10 s, en appuyant sur le bouton 1 ! Malin, car cela les aide à résister à la tentation de la nourriture immédiate. Par contre, certains pigeons, après les 10 secondes d’attente, appuient quand même sur le bouton 1 et se prennent un coup de jus, tellement la tentation est grande ! Un peu comme si je mettais le système de la gifle si je ne me lève pas quand mon réveil sonne, mais que le lendemain matin, je préfère tout de même rester dans mon lit et me prendre une gifle…
Bref, vous voyez que les animaux ne sont pas si différents de nous, voire même qu’ils pensent presque comme nous ! Cela montre que l’ambivalence simple est profondément ancrée dans nos gênes. D’ailleurs on dit bien « un « tiens ! » vaut mieux que 2 « tu l’auras !» », ce qui illustre notre tendance naturelle à faire comme notre ami pigeon : prendre tout de suite les 2 grammes, même si plus tard on pouvait avoir 4 grammes. Quels enseignements peut-on tirer de notre connaissance sur l’ambivalence simple ? Petit 1, il n’est pas si facile de faire les choix qui seront les bons pour nous sur le long terme, même si on sait quels choix sont les bons. C’est souvent la différence entre ce que je dis que je vais faire, et ce que je fais vraiment. Et petit 2, il existe des astuces pour se forcer à faire les bons choix. J’ai peu parlé de ces astuces, mais j’y reviendrai dans un prochain post, sur l’ambivalence complexe cette fois-ci .