Vous avez sûrement déjà entendu le topo rabat-joie : on gaspille, on jette des tonnes de choses utiles, et même pire, certains appareils tombent en panne alors qu’ils pourraient encore fonctionner (la fameuse « obsolescence programmée »… Brr, flippants ces mots !). Résultat : on consomme trop de matériaux par rapport à ce que la planète peut nous offrir, et c’est la cata assurée… Et là [illumination dans le ciel et voix de chœur], quelqu’un prononce les mots magiques : « économie circulaire ». Alors quoi ? Comment fonctionne-t-elle, cette économie toute en rondeurs ? Quel est donc ce sésame des temps modernes, nous ouvrant (ou pas ?) la porte à un avenir radieux ? Pourquoi cette économie n’arrive-t-elle que maintenant, si elle est si géniale ? Et surtout, est-ce si facile que cela de créer un cercle ? Il suffit juste de trier nos déchets et d’éviter quelques gaspillages pas vrai ? 😎
L’économie « normale »
Comme nous l’avons déjà vu, l’économie n’est qu’une immense machine à prendre des ressources et à les transformer pour que nous puissions les consommer. Regardons plus en détail comment cela se déroule :
On part bien de ressources naturelles, qu’on extrait du sol, de la forêt, de la mer, etc. On les transforme, on les distribue, et on peut enfin les consommer. Ensuite, on jette ce qu’on ne peut pas consommer, ou ce qui ne nous plait plus (parce que c’est cassé, ou parce ce n’est plus à la mode) : c’est la « fin de vie » du produit… Mais prenons un exemple pour illustrer ce type d’économie : votre iPhone.
Dans votre iPhone, il y a un peu de tout : des métaux, des terres rares, du plastique, du silicium… Il faut bien imaginer que tout ce qui se trouve dans votre iPhone était sous terre il y a à peine quelques années, sous forme de matières premières 😯 . Pour aller les chercher, il a fallu de gros engins de mine qui creusent, puis des usines qui traitent la terre pour obtenir des matériaux utilisables. C’est ce que j’ai appelé l’extraction.
Ensuite, vient la transformation de ces matériaux. Chaque matériau va passer dans différentes usines pour être formé. Par exemple, le pétrole va être transformé en coque en plastique, le sillicium en carte électronique, etc. Des terres rares vont être utilisées dans l’écran tactile, et dans différents circuits électroniques. Un peu comme si on les saupoudrait dans le portable : un peu par-ci, un peu par là. Une fois que toutes les pièces sont prêtes, on peut les assembler pour obtenir un bel iPhone. Toutes ces étapes ont été résumées dans mon schéma par « transformation ».
Une fois le produit terminé, il faut l’emmener dans votre magasin préféré. Les camions s’en chargent. C’est ce qu’on appelle la distribution.
Et enfin, le moment qu’on attend tous : on peut enfin acheter et utiliser notre iPhone chéri !… 😀
Puis vient un jour où notre bébé s’use et tombe en panne, parfois peu de temps après que sa garantie se termine (les boules hein ? 😛 ). Pour d’autre, ce jour est le jour où ils découvrent un nouveau bébé bien plus sympa : l’iPhone N+1. Alors là, branle-bas de combat, il faut à tout prix vendre l’iPhone N sur Le Bon Coin, pour acheter l’iPhone N+1. On ne sait ensuite pas très bien ce qu’il arrive à l’iPhone N, mais ce qui est sûr, c’est qu’il tombera en panne un jour, et que le N+1 fera de même un autre jour.
Bref, nos belles ressources de départ finissent tristement à la poubelle. Dans l’économie normale, on les brûle puis on met les cendres dans des décharges. On peut aussi les mettre dans des décharges directement si on a la flemme. Puis on attend que le temps passe en espérant qu’il n’y ait pas de problèmes avec ces déchets. Facile quoi !
Evidemment, et vous commencez à avoir l’habitude sur ce blog, toutes ces étapes requièrent de l’énergie pour transformer les matériaux, les chauffer, les transporter, les souder, etc. Ce petit rappel est important pour comprendre pourquoi cette économie n’est pas notre championne pour le futur.
Cette économie est dite « linéaire », c’est-à-dire qu’elle va des ressources jusqu’aux déchets, dans un seul sens, en suivant la ligne du schéma. Présentons maintenant notre grande star…
L’économie circulaire 😎
Comme vous vous en doutez, l’économie circulaire n’a plus rien, mais alors plus rien à voir avec ce qu’on a connu auparavant 😛 . Descriptif :
Tadaa !! Vous voyez, l’idée de l’économie circulaire, c’est qu’on continue à faire exactement comme avant… sauf pour la fin de vie de notre iPhone. Si vous avez tout suivi, cela veut dire que cela ne va rien changer pour moi, petit acheteur de portable, puisque ce n’est qu’après avoir jeté mon iPhone que les choses changent pour lui 😀 . Et ça tombe bien, parce que je n’aime pas beaucoup changer mes habitudes ! Mais concrètement, qu’est-ce qui change pour la fin de vie de nos objets ? Et bien il s’agit de les recycler après les avoir utilisés ; en un mot, recycler nos déchets. Et oui, la magie du recyclage, c’est que nos déchets deviennent une ressource !
L’économie de ma grand-mère
Bon OK, je suis sûr que vous avez senti une pointe d’ironie de ma part lorsque je disais que c’était une idée magique et hyper novatrice 😉 . En vérité, ma grand-mère faisait déjà de l’économie circulaire lorsqu’elle gardait toutes les boîtes pour les réutiliser, ou lorsqu’elle faisait des serviettes de table avec les draps usés… Bref, c’est en fait de l’idée ancienne !
Mais alors, me direz vous, pourquoi a-t-on abandonné cette bonne vieille économie circulaire de grand-mère, si maintenant on veut la remettre en place version 2.0 ? C’est encore et toujours lié à notre sacro-sainte énergie. Souvenez-vous : lors de la révolution industrielle, des quantités d’énergie jamais atteintes auparavant sont devenues utilisables. D’un coup, on pouvait extraire et transformer des ressources pour un prix dérisoire ! A ce moment là, à quoi bon se casser la tête à tout garder et à tout réparer ? Il était devenu moins cher de racheter des objets neufs que de les réparer ou les réutiliser ! Et même, certains objets sont devenus si peu chers à fabriquer qu’ils sont devenus « jetables » : on en rachète des nouveaux à chaque utilisation.
Mais, comme nous l’avons vu, le temps de la fête prend fin, le mojito se tarit. Moins de pétrole disponible ; et les métaux, les terres rares, et autres matériaux sont de plus en plus difficiles d’accès, puisqu’évidemment on a déjà pris les plus faciles à extraire… Le résultat dans notre économie, c’est que les prix de toutes ces ressources augmentent, et ils font de plus en plus le yoyo (leur « volatilité » augmente). Le prix, c’est ce qui signale aux gens qu’il va falloir changer notre manière de faire, et c’est pour ça que l’économie circulaire redevient à la mode depuis une quinzaine d’années.
Une économie qui tourne comme une roue de vélo
L’idée globale de l’économie circulaire est donc louable. Elle permettrait de limiter la casse en faisant quelques efforts. Et oui, des efforts… Il va falloir mettre nos déchets dans les bonnes poubelles. Ha oui, et puis il va falloir construire des usines qui recyclent. Mais en fait, est-ce si facile de recycler ? Imaginons par exemple qu’on n’arrive pas à recycler 100% d’un matériau. On aurait alors une économie circulaire qui « fuit », en mode chambre à air percée 😕
Les fuites de l’économie circulaire
Imaginez par exemple que j’arrive à recycler les ¾ d’un matériau. Au bout du premier tour d’économie circulaire, j’en perds donc 25%, qui deviennent des déchets à tout jamais. Puis au second j’en perds encore 25% du restant, et idem au 3ème tour. Au bout de 3 tours, il ne me reste plus que 42% de mon matériau de départ. Bref, ça part vite dès qu’il y a une petite fuite dans mon économie ! Vous allez me dire, si mon tour d’économie dure 30 ans, c’est moins grave que s’il dure 1 an. Dans le premier cas, il me restera 42% de mon matériau au bout de 90 ans ; dans le second cas, il ne m’en restera plus que 5% au bout de 10 ans ! Vous voyez donc que l’économie circulaire marche mieux si elle a très peu de fuites, et si les objets durent longtemps.
Je parle de fuite comme ça, mais pourquoi y aurait-il des fuites dans cette belle mécanique ? Coup de chance, on fait déjà de l’économie circulaire en France pour certains matériaux. Donc on peut regarder si en vrai il y a des fuites 😎 . Le matériau le plus recyclé en France est le papier-carton. Cela est notamment du au fait que vous triez le papier-carton dans un bac à part. Alors tenez-vous bien, on recycle 60% de notre papier-carton, pas plus. Et c’est notre best of, notre top du top ! Pour le verre, c’est 50%. Donc apparemment, les fuites sont normales.
Est-ce qu’elles viennent du fait qu’on trie mal nos déchets ? Sûrement un peu. Mais les deux raisons principales à nos fuites sont que recycler n’est pas simple et que cela requiert de l’énergie 😕 Peut-on mettre une rustine à cette économie circulaire qui fuit ??
Une chambre à air poreuse !!
Par exemple, il y a tellement de plastiques différents (chaque marque d’eau en bouteille fait son plastique avec sa couleur et sa forme) qu’une fois dans la poubelle tout se mélange, et cela rend le recyclage très compliqué. Le résultat, c’est qu’en général une bouteille en plastique ne fera pas une nouvelle bouteille, mais plutôt une chaise de jardin. Et moi, perso, j’utilise plus souvent des bouteilles en plastique que des chaises de jardin. On dit dans ce cas qu’on a perdu la fonction du plastique. On passe d’un plastique très utile (une bouteille d’eau) à un plastique moins utile (une chaise de jardin).
De même, on ne sait pas recycler les objets « hi-tech ». Pourquoi ? Parce que la hi-tech, c’est des dizaines de matériaux différents mis ensemble dans un tout petit espace. Les matériaux sont utilisés en des quantités si petites, et mélangés à d’autres matériaux, que ça demanderait une grande quantité d’énergie pour séparer les matériaux, et pour en récupérer si peu. Un peu comme si je vous demandais de récupérer un ingrédient particulier dans une part de gâteau ! On dit qu’on a fait un usage dispersif des matériaux, et on préfère parfois utiliser directement les matières premières extraites de la nature au début du cercle, c’est moins cher. Il existe donc des cas dans lesquels on a besoin de moins d’énergie pour extraire les matériaux du sol que pour les extraire de nos objets hi-tech. L’économie « linéaire » est privilégiée dans ces cas, pour des raisons d’énergie dans le fond.
Mais n’oublions pas que nous avons de moins en moins d’énergie par personne ! La double contrainte à résoudre est la suivante : comment pouvoir recycler nos matériaux (puisqu’ils sont de plus en plus difficiles à sortir du sol) tout en utilisant peu d’énergie (car sinon le recyclage sera cher, et par conséquent nos objets aussi) ? Selon certains experts en ressources des matériaux, la meilleure solution est de concevoir nos objets hi-tech différemment, de manière à ce qu’ils soient facilement recyclables. C’est ce qu’ils appellent les « low-tech ». Cette nouvelle manière de concevoir s’appelle « l’éco-conception ». Les low-tech ont l’avantage de consommer moins d’énergie lors de leur recyclage .
L’économie circulaire v2.0
Résumons : pour que l’économie circulaire fonctionne, il faut qu’elle n’ait pas de fuite. Pour cela, il faut que les objets soient conçus différemment afin qu’ils soient recyclables le plus possible, et en utilisant peu d’énergie. Il faut aussi ralentir les « tours » d’économie circulaire. C’est-à-dire concevoir des objets qui durent longtemps, de bonne qualité, qu’on jette peu, et qu’on peut réparer facilement, donc modulaires.
Certains proposent aussi de mettre moins de matériaux dans le cercle de l’économie. Par exemple, limiter le gaspillage, cela signifie simplement acheter pile ce dont on a besoin, et pas plus. Donc extraire moins de matériaux en entrée de notre boucle. Il est aussi possible d’acheter des objets en commun, qu’on partage avec les voisins et les amis. L’idée est la même : au lieu d’acheter une perceuse chacun, on en achète une pour tout l’immeuble et on se la prête. On produit moins de perceuses, et donc on a besoin de moins de matériaux à l’entrée de notre cercle.
Alors, heureux ?? Et bien pas forcément… Toutes ces idées, concrètement, elles veulent dire quoi ? Pas seulement un peu de tri par-ci par là. Par exemple, mon iPhone sera sûrement moins beau et je ne pourrai pas le changer tous les six mois pour être à la pointe de la mode… Pire, il faudra que je le fasse réparer jusqu’à ce qu’il n’en puisse vraiment plus ! (Une startup s’est d’ailleurs lancée dans la conception du portable du futur, prometteur). Il faudra que j’aille voir mes voisins pour leur demander la perceuse et le marteau lorsque je veux faire des travaux. Il faudra que je réutilise mes sacs et mes boîtes pour aller faire mes courses… La vraie économie circulaire, c’est tout ça !
En bref, l’économie circulaire est un vrai gros changement, mais c’est un changement nécessaire car nous disposons de moins en moins d’énergie et de matériaux par habitant. Comme beaucoup des changements présentés dans ce blog, ce sont des changements vers un monde dans lequel les objets et la consommation auront forcément moins d’importance… Il faudra donc trouver d’autres raisons d’être heureux. Les enseignements de la psychologie pourront être utiles sur ce point, mais je fais aussi confiance à votre créativité pour imaginer la vie de demain 😉 .
Manque un élément important dans la discussion: la ressource humaine, la main d’œuvre, la création … Tout aussi une ressource que les composantes matérielles et l’Énergie!