Archives pour la catégorie Le monde au présent

Avant de pouvoir inventer le monde de demain, il vaut mieux en comprendre les mécanismes actuels. Ça évitera quelques boulettes ;). Les articles de cette catégorie parlent d’actualités dont on entend parler dans les grands média, mais qui n’y sont pas vraiment expliqués. Alors voici un décodage le plus abordable possible du monde au présent !

Une théorie du pouvoir économique en France : ses mécanismes, sa stabilité, ses conséquences

Cet article propose une théorie du pouvoir économique, illustrée par un schéma. Cette théorie, forcément simplificatrice, tisse des liens entre différents concepts. (Cliquez sur le schéma pour pouvoir zoomer dessus !)

Schéma général v3.2 Avec Etat.drawio

Pour ceux qui manquent de temps, voici un résumé de cette théorie :

Les flux économiques sont largement pilotés par un groupe réduit d’individus (au plus quelques dizaines de milliers) qui possèdent une part importante du patrimoine national et qui captent une part de plus en plus grande des revenus produits en France. Ce mécanisme augmente structurellement les inégalités, en leur faveur. 

Ce groupe d’individus, que j’appelle le pouvoir économique (4), est soutenu activement par le pouvoir médiatique (6) et par le pouvoir politique (5), qui, pour le premier, partage, diffuse massivement et tente de légitimer l’idéologie de ces individus (14), et pour le second facilite, voire participe directement à l’accumulation de leur richesse. Ces trois pouvoirs (économique, médiatique et politique) baignent dans le même monde idéologique (7), bain qui se maintient grâce à des activités d’homogénéisation idéologique entre eux (scolarité, événements, dîners mondains, vacances partagées, forums professionnels…). Cette collusion se fait aussi via les activités de lobbying.

Le pouvoir économique est également soutenu de facto par une part significative de la population française, qui partage leur idéologie, promue par le pouvoir médiatique. Cette idéologie, le libéralisme économique, postule que l’accumulation de richesses par certains, parfois sans limite, par la voie de l’investissement sur des marchés, est bonne pour la société dans son ensemble. Selon cette idéologie, les individus qui accumulent des richesses par cette voie sont des bienfaiteurs de la société dans son ensemble, ou tout du moins ne lui nuisent pas. Il est donc foncièrement illégitime et immoral de vouloir les restreindre dans cette accumulation.

Cette idéologie domine le pilotage des activités économiques, qu’elles soient publiques ou privées. Par conséquent, les flux de richesses générées par les activités économiques sont distribués, par tête, majoritairement à ceux qui possèdent déjà le plus de capital (9, 10), et ce malgré les mécanismes de redistribution qui existent en France (11, 13).

Cela a pour effet de renforcer les pouvoirs de ce groupe d’individus : pouvoir de décision sur les activités économiques, d’influence, et de partage idéologique, leur permettant d’accumuler encore davantage dans le futur. Il ne reste alors qu’un pas pour comprendre que réduire les inégalités, ou amorcer une transition écologique qui remettrait en cause l’accumulation sans fin des richesses par les plus aisés, se heurterait à leur pouvoir, devenu démesuré avec le temps…

***

Tout l’enjeu d’une théorie est de voir si les liens qu’elle tisse tiennent la route dans la réalité, et s’ils ont un pouvoir explicatif, voire prédictif. Les événements qui émaillent notre réalité illustrent-ils effectivement ces liens, ou au contraire les contredisent-ils ? Très probablement, nous aurons les deux cas : certains événements les confirmeront quand d’autres viendront les remettre en cause. Très bien,  en tenir compte me permettra de nuancer ces liens, les renforcer… voire d’en retirer du schéma s’ils n’apportent rien à la compréhension de notre monde.

Ainsi, ce schéma et la théorie qui va avec, se veulent « collaboratifs », vous, lecteur, pouvant me suggérer des sources venant alimenter cette argumentation. Si vous y participez, cet article devrait être en constante évolution dans un esprit de recherche collaborative, au fur et à mesure que des sources viennent confirmer, nuancer ou infirmer ce qu’il contient. Pour y participer, à vous de proposer des sources à travers ce formulaire collaboratif (et voici le document contenant les sources initiales et proposées par les autres).

Au cours de votre lecture, vous rencontrerez des numéros (verts) qui font référence aux numéros sur le schéma. Vous pouvez ouvrir le schéma dans un nouvel onglet pour jongler facilement entre le schéma et le texte.

Demandez le programme de ce post !

1. De quel pouvoir parle-t-on ?
   1.1. L’accumulation des richesses et la décision sur ce que vont produire les autres
   1.2. Un pouvoir plus ou moins concentré
2. Point de départ : la répartition actuelle des richesses en France
3. Les mécanismes fondamentaux de la distribution des richesses
   3.1. Le fonctionnement d’ensemble : de la création à la répartition des richesses
 3.2. La répartition actuelle de la valeur ajoutée favorise l’accumulation par ceux qui possèdent déjà le plus
   3.3. L’Etat, les collectivités territoriales et les caisses de protection sociale participent à redistribuer les richesses, mais pas assez pour freiner l’augmentation des inégalités
4. Les rapports de force qui façonnent les mécanismes de distribution
   4.1. Le pouvoir économique décide directement de l’allocation des richesses produites par son capital productif
   4.2. Le pouvoir politique pilote environ 20% des richesses produites annuellement
   4.3. Les petites et moyennes entreprises disposent d’un pouvoir beaucoup plus dilué
  4.4. Le lobbying du pouvoir économique : un outil d’alignement des pouvoirs politique et économique
   4.5. Le moteur des mécanismes de distribution est une idéologie défendue et partagée par le pouvoir économique : le libéralisme économique
  4.6. Une idéologie largement partagée au-delà des sphères de pouvoir, grâce au système médiatique
5. Quelles conséquences pour une transition écologique et/ou sociale ?

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La place du système médiatique dans le pouvoir

Ce post aborde le sujet du fonctionnement du système médiatique, que j’ai présenté dans mes posts précédents comme un élément clé des pouvoirs démocratiques capitalistes.

Je définis ici le système médiatique dans un objectif de meilleure compréhension du pouvoir : il s’agit de l’ensemble des « grands » médias, ceux qui rassemblent régulièrement de 1 à plusieurs millions de spectateurs français (je me limite aux médias français). Ces médias sont a priori des médias nationaux (et pas locaux), télévisuels (sauf quelques grands journaux de presse nationale et quelques radios), et possédés par des agents capitalistes ou par l’Etat, car ils requièrent des besoins de financement importants (plusieurs centaines de millions, à plusieurs milliards d’euros chaque année). J’oppose ces médias, dans mon post précédent, aux médias que j’appelle « alternatifs », et qui jouent un rôle différent dans le pouvoir. Je n’aborde pas le sujet des médias alternatifs ici.

Je défends dans ce post que le système médiatique ainsi défini possède ses logiques propres, émergentes de l’ensemble des grands médias, et c’est pourquoi on peut parler du « système médiatique », bien qu’il ne soit en aucun cas piloté par une entité particulière.

J’analyse ces logiques propres, puis fais apparaître les raisons qui mènent dans certains cas à des biais médiatiques systématiques. Ce post ambitionne donc de vous fournir les clés principales de compréhension du traitement de l’information par les grands médias français.

J’ouvre finalement la réflexion sur ce que devrait être un système médiatique si on le voulait plus démocratique.


Ce post étant long, voici tout de suite le programme !

  1. Le système médiatique, une machine puissante pour orienter les perceptions
    1. Le média pointe du doigt les faits et les sujets jugés importants… par lui !
    2. Choisir ce qui est censé être important pour tous : un grand pouvoir
  2. Comment le système médiatique traite-t-il l’information qu’il nous délivre ?
    1. Un minutieux travail de traitement de l’information par chaque média…
      1. La hiérarchisation des sujets
      2. L’angle du sujet
      3. Les positions exprimées et leur contextualisation
    2. … Réalisé par des professionnels…
    3. … Mais soumis à des « modes communs »
      1. L’imitation médiatique
      2. Les bulles algorithmiques
      3. L’injonction de rentabilité
      4. La dépendance aux sources disponibles
      5. La sociologie des journalistes des grands médias, et l’idéologie qui l’accompagne
      6. Les sources de financement et la propriété des médias
  3. Un système médiatique qui marginalise l’information susceptible de déstabiliser le pouvoir économique en place
  4. Les grands médias d’un côté et les médias « militants » de l’autre ?
  5. Peut-on proposer un meilleur système médiatique ?
    1. Un système médiatique plus « neutre » ?
    2. Vers un système médiatique plus émancipateur, moins contrôlant…
    3. …Qui doit donc être pluraliste
    4. Alors que proposer ?

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Le rôle de l’énergie dans l’auto-organisation du pouvoir

Dans mon post précédent, j’ai proposé une définition du pouvoir capitaliste tel que je peux l’observer actuellement en France, dans l’Union Européenne, et en général dans les pays dits développés. Selon cette définition, le pouvoir capitaliste est une entité macroscopique composée d’un pouvoir économique, d’un pouvoir politique, d’un pouvoir médiatique et secondairement d’un contre-pouvoir « populaire ». J’argumente que ces pouvoirs interagissent les uns avec les autres de manière à ce que les profits obtenus par le pouvoir économique soient maximisés.

Il me semble que cette définition est la plus utile et la plus puissante pour comprendre la marche de nos économies actuelles, notamment vis-à-vis des contraintes énergétiques et environnementales que nos sociétés rencontrent et rencontreront au cours du XXIème siècle.

J’explore dans le présent post le lien, qui me semble intime, entre le comportement du pouvoir capitaliste et le débit d’énergie dont l’économie qu’il pilote dispose.

Mon analyse mène à la conclusion qu’en période de débit d’énergie en apparence illimité, le pouvoir capitaliste s’auto-organise de manière à faire monter une classe moyenne et à réduire les inégalités ; au contraire, en période de débit d’énergie contraint, dont la situation actuelle, il s’auto-organise de manière à creuser les inégalités.

Je détaille les divers mécanismes qui relient le débit d’énergie disponible à ces comportements différenciés, lorsque l’énergie semble illimitée, puis lorsqu’elle est contrainte.


 

Nous l’avons déjà largement discuté sur ce blog, l’énergie constitue le sang de notre économie. L’économie peut être comparée à un métabolisme qui prélève des ressources dans son environnement (du bois, des animaux, des plantes, des minerais, de l’énergie…), qui les transforme en biens et services, et ce faisant génère des déchets (pollution de l’air, de l’eau, des sols). L’énergie joue un rôle crucial sur la phase de transformation, car toute transformation requiert de l’énergie. Par exemple, pour produire un meuble en bois, il faut couper des arbres, les débarder, puis couper le bois en planches, les transporter dans une usine d’assemblage, monter le meuble, puis le transporter afin qu’il arrive dans votre salon. A chacune de ces étapes, il faut de l’énergie.

C’est bien sûr un travailleur (salarié, indépendant, artisan, agent public…) qui actionne les flux d’énergie via diverses manettes, boutons, volants, leviers, touches, etc. Par exemple, le conducteur du poids lourd qui transporte les planches ne fournit aucune énergie dans l’acte de transporter les planches (ou alors c’est lui qui pousserait le camion !) ; il ne fait en fait que piloter le camion dont le carburant permet le mouvement.

Ainsi, toute valeur ajoutée produite par une entreprise repose sur des transformations pilotées par ses salariés, et effectuées par de la consommation d’énergie. D’un point de vue macroéconomique, une fois les salariés (qui ont piloté cette chaîne de valeurs ajoutées) rémunérés, et les impôts payés, il reste les bénéfices des entreprises, que les actionnaires peuvent décider de se reverser (alternativement, ils peuvent décider de réinvestir une partie des bénéfices dans les entreprises). Donc, sans énergie consommée, pas de bénéfices, et pas de dividendes à se reverser.

Un fonctionnement différent selon que l’énergie est abondante, ou limitée

Quand l’énergie est abondante et peu chère, l’agrégat des entreprises peut produire beaucoup plus de biens et de services sur une année que l’année précédente. Lorsque l’énergie devient contrainte et plus chère, cet agrégat ne peut plus en produire autant.

Or, selon notre définition du pouvoir, tout fonctionne comme si cet agrégat ne visait qu’une chose : la maximisation des profits de ses actionnaires à court terme. Ainsi, en fonction de l’énergie disponible, cet agrégat peut prendre différents modes de fonctionnement afin de répondre à son objectif.

Lorsque l’énergie est abondante, les bénéfices viennent tout seul

Si l’énergie est abondante, c’est-à-dire si la consommation d’énergie peut croitre fortement d’une année à l’autre, il vaut mieux augmenter rapidement la quantité de biens et de services produits, quitte à se faire peu de marge sur chaque bien ou service vendu. Continuer la lecture de Le rôle de l’énergie dans l’auto-organisation du pouvoir

Mieux comprendre le pouvoir capitaliste d’aujourd’hui

Dans ce post, je propose une définition du pouvoir capitaliste tel que je peux l’observer actuellement en France, dans l’Union Européenne, et en général dans les pays dits développés. Cette définition me servira dans le post suivant pour explorer le lien entre ce pouvoir capitaliste, qui pilote l’économie, et le débit de ressource énergétique auquel il a accès pour la faire fonctionner.

Selon cette définition, le pouvoir capitaliste est une entité macroscopique composée d’un pouvoir économique, d’un pouvoir politique, d’un pouvoir médiatique et secondairement d’un contre-pouvoir « populaire ». Je définis ces quatre composantes, puis j’argumente ici qu’elles interagissent les unes avec les autres de manière à ce que les profits de court-terme obtenus par le pouvoir économique soient maximisés.

Il me semble que cette définition est utile et puissante pour comprendre la marche de nos économies actuelles, notamment vis-à-vis des contraintes énergétiques et environnementales que nos sociétés rencontrent et rencontreront au cours du XXIème siècle.


 

Dans mon post précédent, qui explorait ce que révélait la crise du COVID sur le pouvoir, j’ai défini ce qu’était le pouvoir selon moi. Je rappelle et approfondis ma définition ici, car elle me servira pour de futurs posts qui analyseront le pouvoir sous différents angles.

Les composantes du pouvoir

Pour commencer, je définis trois composantes principales au pouvoir (le pouvoir économique, le pouvoir politique, le pouvoir médiatique), puis une composante secondaire (le pouvoir populaire), et j’explique comment elles fonctionnent ensemble. Ces définitions vont volontairement à l’essentiel en gardant le premier ordre et rien que lui, afin de faciliter la compréhension de ce qu’est le pouvoir, sans être trop caricatural. Autrement dit, je pense qu’oublier un de ces éléments mène à ne plus rien comprendre au pouvoir ; et à l’inverse, je pense que les éléments que je ne mentionne pas sont secondaires pour le comprendre (mais j’ai hâte que vous me contredisiez si j’oublie un élément du premier ordre !).

Le pouvoir économique

Le pouvoir économique prend les décisions relatives à l’arrêt de certaines activités économiques, à leur lancement  ou à leur développement. C’est par exemple le pouvoir économique qui décide « combien de personnes devraient travailler dans tel ou tel secteur ». En économie capitaliste, ce pouvoir est composé au premier ordre des acteurs de la finance, qui comprennent les grands détendeurs de capitaux (les grands actionnaires) et les institutions financières (banques, fonds de pensions…). J’exclus du pouvoir économique l’Etat, même si l’Etat prend des décisions sur les activités publiques (par exemple combien de fonctionnaires de police, ou de personnel hospitalier, devraient exercer).

Le pouvoir économique (les grands actionnaires et le secteur financier, donc) réalise ses placements financiers dans les secteurs qui lui permettent de générer le plus de profits à court terme (et a fortiori, d’éviter des pertes de leur capital). Par ses choix, concrètement, des activités économiques différentes vont se développer ou prendre fin. En d’autres termes, si le pouvoir économique le décide par ses choix de financement, des gens vont se mettre à travailler, ou arrêter de travailler, des ressources naturelles vont être utilisées, ou ne plus l’être. Par exemple, investir dans l’énergie éolienne va mettre au travail des ingénieurs, des techniciens, des ouvriers, des commerciaux, etc., qui vont travailler à concevoir, produire, installer et entretenir des éoliennes, et qui ne vont pas passer ce temps sur d’autres activités.

Ce pouvoir est concrètement relayé dans les décisions économiques via les dirigeants des entreprises. Différents mécanismes sont à l’œuvre pour ce faire. Pour les grandes entreprises, les dirigeants sont incités à s’aligner sur les intérêts des actionnaires en bénéficiant d’un accès privilégié aux actions de l’entreprise (stock options). Ils deviennent alors actionnaires, et par des mécanismes complexes, ils sont également incités à maximiser les bénéfices de l’entreprise sur le court-terme. Pour les entreprises plus petites non cotées en bourses mais financées par des investisseurs (private equity), les incitations sont moins court-termistes, mais elles poussent tout de même à la production de profits sous quelques années.

C’est bien sûr un raisonnement au premier ordre, car vous trouverez toujours des contre-exemples d’actionnaires qui pilotent leurs entreprises avec un objectif de rentabilité à long-terme, voire d’utilité pour la société en premier lieu, ou de petites entreprises qui ne suivent pas ces comportements.

  • L’entreprise Tesla d’Elon Musk constitue un tel contre-exemple : ses résultats d’exploitation annuels n’ont jamais été positifs dans les 10 dernières années. Cette apparente « aberration économique » s’explique par plusieurs facteurs : le personnage d’Elon Musk, scientifique et technophile plutôt qu’investisseur pur ; sa capacité personnelle de financement qui lui permet de facilement lever des fonds et de faire face aux déficits chroniques (milliardaire suite à la revente de Paypal) ; le fait que sa richesse personnelle soit en fait en hausse de par la valorisation en bourse de Tesla, constamment croissante malgré les déficits : si Elon revendait ses parts, il dégagerait une énorme plus-value par rapport au capital qu’il y a investi.
  • D’autres exemples existent dans l’industrie médiatique : le pouvoir économique peut posséder des médias y compris lorsque cette activité est déficitaire, car cela lui donne un pouvoir sur le choix d’information à diffuser, et de sujets à soulever, dans la société (voir description du pouvoir médiatique plus bas). Par exemple le journal Libération a régulièrement été déficitaire ces dernières années.
  • De nombreuses entreprises, notamment parmi les start ups, ont une vocation d’apport de valeur à la société, mais si leur business model ne leur permet pas de faire de profits, ni d’attirer les capitaux du pouvoir économique, elles disparaissent (comme pour cet exemple d’une start-up du recyclage). C’est ainsi que le fonctionnement des marchés et les décisions de financement produisent une forme de sélection darwinienne qui fait subsister, voire grossir, les activités qui génèrent des profits à court-terme, et pas les autres.

Le pouvoir politique

Le pouvoir politique prend les décisions relatives à la fixation des « règles de vie en société », dont les règles relatives aux activités économiques, celles qui vont le plus m’intéresser par la suite. Ce pouvoir comprend le Président de la République, le gouvernement, les députés et sénateurs, les élus des différents échelons de prise de décision politique (élus régionaux, locaux, etc), les hauts fonctionnaires.

Le pouvoir politique organise les règles du jeu. Il organise entre autres celles qui encadrent les activités économiques. Il peut le faire par divers outils, tels que des normes, des standards, des quotas, des taxes et subventions, des interdictions ou obligations, outils qui sont relatives soit aux activités économiques en elles-mêmes (comment on produit les biens et les services), soit à leurs conséquences (pollution, santé, accidentologie, etc. générés par la production), soit aux biens et services qu’elles produisent (normes sanitaires, de pollution, de consommation d’énergie, etc. de ces produits). Ces règles s’imposent alors aux acteurs économiques via divers mécanismes de contrôles, d’instances de discussion, d’un système judiciaire, mécanismes qu’il serait d’ailleurs intéressant d’explorer (qui est motivé ? :)).

Le pouvoir politique dispose aussi de quelques leviers lui permettant  d’orienter le pouvoir économique, par diverses formes de commandes publiques : il peut par exemple faire fabriquer de nouvelles infrastructures, faire produire des systèmes d’armes pour l’armée, ou faire gérer des infrastructures ou services, soit seul via ses propres entreprises ou agences publiques, soit en finançant des entreprises privées, soit via des partenariats hybrides public-privé. Par exemple, RTE, société à capitaux publics et engagée avec l’Etat par un contrat de service public, est en charge de l’entretien et de l’évolution du réseau de transport d’électricité : cette infrastructure est donc gérée publiquement ; au contraire, les sociétés concessionnaires d’autoroutes, aujourd’hui privées, gèrent les autoroutes ; le nouveau stade de foot de Nice , ou certains établissements pénitentiaires, ont été construits et sont/seront gérés par un Partenariat Public Privé, c’est-à-dire que la construction et certains services seront effectués par une entreprise privée sous un contrat avec le secteur public, et que d’autres services seront assurés par le secteur public.

Par ces impulsions, le pouvoir politique peut favoriser certaines activités économiques, en mobilisant le pouvoir économique (comme avec les concessions ou les partenariats publics-privés) ou sans le mobiliser (c’est le cas des secteurs publics).

Selon moi, et c’est un point important de ma réflexion, l’établissement des règles du jeu, explicites ou implicites, et l’animation de l’économie par le pouvoir politique, se font actuellement sous l’influence dominante des acteurs du pouvoir économique. Ce rapprochement d’intérêt entre le pouvoir politique et économique est ce qui caractérise, pour certains, l’économie néolibérale. L’influence du pouvoir économique sur le politique passe par le biais des entreprises possédées par le premier, et qui disposent de forces d’influence très puissantes, ou par le biais de relations personnelles entre les acteurs de ces deux pouvoirs.

  • Les lobbies (relations publiques, en bon Français) sont le bras armé officiel du pouvoir économique envers le pouvoir politique. C’est un bras armé qui est régulièrement justifié par le fait que le pouvoir politique, pour encadrer des activités professionnelles complexes dont il n’est pas expert, doit s’informer auprès de professionnels qui comprennent et suivent ces activités. Ainsi le pouvoir politique s’informe directement auprès des entreprises qui effectuent ces activités. Si par exemple le pouvoir politique propose de mettre en place des indicateurs nutritionnels sur les produits alimentaires, il va s’appuyer en majorité sur les industriels de l’agro-alimentaire pour s’informer, et pour concevoir et valider ces indicateurs.
    En pratique, un rapport de force s’établit en faveur des activités économiques qui mettent le plus de moyens dans du lobbying en leur faveur, d’une part dû à cette asymétrie d’information entre le pouvoir politique non expert et le pouvoir économique expert, et d’autre part dû aux moyens humains très importants qui sont déployés du côté des lobbies. Cet avantage informationnel donné aux activités qui peuvent se défendre grâce à d’importants moyens de lobbying, revient en creux à désavantager les activités qui ont moins de moyens (par exemple la production d’automobiles à beaucoup plus de moyens d’influence que la production de bicyclettes).
    Les lobbies sont dotés de plusieurs outils d’influence. Citons seulement la mise en avant des impacts sur l’emploi en cas de règle qui défavoriserait les activités pour lesquelles ils travaillent. Vulgairement appelé le « chantage à l’emploi », cela permet d’orienter le pouvoir politique vers des choix de règles qui favorisent leur activité existante, ou la défavorisent le moins possible, en négligeant par exemple la question du bien-fondé social et environnemental de cette activité, et au détriment d’autres activités qui pourraient avoir besoin de support.
  • Les relations personnelles proches entre le pouvoir économique et le pouvoir politique (documentées par les travaux de sociologie du couple Pinçon-Charlot) favorisent également le partage d’une idéologie commune selon laquelle « la maximisation des profits par le pouvoir économique en place est bonne pour la société dans son ensemble ». Cette idéologie partagée avec le pouvoir politique mène à l’établissement de règles du jeu plus favorables à la maximisation des profits du pouvoir économique en place et au contraire à une résistance envers les règles qui entraveraient cette maximisation.

Ainsi, les règles prises par le pouvoir politique, influencées de la sorte par le pouvoir économique, et la manière dont elles sont appliquées, sont largement favorables à la génération de profits à court terme pour les acteurs du pouvoir économique en place.

Le pouvoir médiatique

Le pouvoir médiatique, souvent présenté comme un contre-pouvoir, décide des grands sujets à soulever ou non, à aborder ou non dans la société, et de la manière de les développer. Il s’agit des grands médias privés ou publics, nationaux ou régionaux, qui utilisent les canaux de la presse, de la radio, la télévision ou Internet.

Les grands médias sont possédés par l’Etat (France TV, Radio France…), et le reste est contrôlé en large majorité par de grands actionnaires (les fameux « 10 milliardaires qui détiennent 90% des médias français« , voir la carte des possessions des grands médias français pour un peu plus de détail).

Ils sont financés par la publicité, et certains en sont vitalement dépendants : environ 70% du chiffre d’affaires pour TF115 % du chiffre d’affaire de Libération, et quelques pourcents à peine pour France Télévision. La logique financière est la suivante : les entreprises possédées par le pouvoir économique achètent de l’espace publicitaire disponible sur les médias, et participent par ce biais à les financer. Les médias sont donc, par ce biais, plus ou moins dépendants du pouvoir économique pour vivre.

Une autre partie de leur financement provient de l’Etat, soit directement pour les médias publics soit via des aides pour les médias privés (moins de 20% pour Libération).

Enfin, une dernière partie provient des ventes et abonnements, c’est-à-dire du lecteur/téléspectateur/consommateur final du média.

Comme on peut s’y attendre au vu de l’état des possessions des grands médias, et de leurs sources de revenus, les grands médias sont contrôlés, et dépendent en grande partie du pouvoir économique. Il n’est donc pas surprenant qu’ils représentent principalement les intérêts communs du pouvoir économique et politique, et prennent un point de vue idéologique qui leur est favorable. Ils vont ainsi soulever les sujets que ces acteurs trouvent important de soulever dans la société, éviter ceux que ces acteurs préfèrent éviter, et prendre un angle de traitement de ces sujets qui leur est favorable.

Les outils utilisés à cette fin sont :

  • la sélection de sujets qui ne remettent pas en cause le pouvoir économique : les divertissements bien sûr, mais aussi des sujets sérieux « de société », scientifiques, historiques, culturels, tant qu’ils ne permettent pas de comprendre globalement et clairement le pouvoir économique et les systèmes sur lequel il s’appuie (notamment, le pouvoir médiatique n’aborde que très rarement le sujet de son propre fonctionnement).
  • le choix de l’angle des sujets : si le sujet est effectivement un sujet qui parle de l’économie directement, ou indirectement par ses effets induits, l’angle est bien souvent du point de vue du pouvoir économique, et pas du point de vue (éventuel) de ceux qui en souffrent, le contredisent, le subissent, ou proposent de le faire changer substantiellement. Par exemple, le temps de parole donné aux grévistes lors d’un mouvement social est significativement plus faible que celui donné à ceux qui subissent les conséquences négatives de la grève. Or les grévistes protestent bien souvent contre les décisions du pouvoir économique (gel des salaires, fermeture d’usine…), en souffrent, et le remettent en cause. De même, les sujets écologiques qui remettent en cause le pouvoir économique sont traités de manière simpliste et manichéenne dans les médias si bien que les sujets de fond ne sont pas abordés sérieusement, ne fournissant pas au téléspectateur les armes intellectuelles pour s’en faire son propre avis.

Là aussi il s’agit d’un premier ordre, car les grands médias glissent régulièrement quelques sujets au Journal Télévisé, quelques articles, voire quelques émissions, qui choisissent effectivement des sujets et des angles qui permettent de mieux comprendre, voire remettent en cause, le pouvoir économique (citons par exemple la fameuse émission Cash Investigation). Par contre, sur 100 sujets tirés au hasard sur ces médias, une large majorité répond à ce que je viens d’énoncer : pris ensembles, ils ne permettent pas de réfléchir au pouvoir économique de manière critique et nuancée (l’exercice a été mené par des chercheurs sur les médias américains, et est régulièrement fait par le site Acrimed en France). La pluralité peut donc être grande lorsqu’on ne parle pas de pouvoir économique, mais beaucoup plus faible dans le cas contraire. Par exemple une grande diversité de points de vue est exprimée sur les sujets de société : mariage gay, immigration, religion et laïcité, etc., mais sur les sujets économiques comme la dette publique, l’inflation, l’Union Européenne, la libre circulation des biens et des capitaux, les taxes aux frontières, la décroissance du temps de travail, la décroissance de la consommation, etc., la diversité est faible et les débats souvent caricaturaux.

A cela s’ajoute le fait que les médias, y compris publics, sont soumis à l’injonction de rentabilité, qui est elle-même définie par la mesure de l’audimat car elle permet de donner sa valeur à la publicité (un grand audimat permet d’attirer des annonceurs publicitaires qui sont prêts à payer cher l’espace publicitaire). Vous remarquerez que cette logique ne devrait pas valoir lorsque la publicité est minoritaire dans les sources de financement, comme pour France TV. Cependant l’idéologie de l’audimat comme indicateur unique est largement intégrée chez les journalistes des grands médias, qui passent de manière fluide du privé au public et vice versa. La course à l’audimat justifie un traitement simpliste et rapide des sujets, si bien que les sujets touchant au pouvoir économique, parfois complexes, ne peuvent pas être sérieusement traités. Petit test, savez-vous répondre sérieusement aux questions suivantes : en quoi l’inflation est-elle dangereuse, ou pas ? En quoi la dette publique est-elle un problème, ou pas ? En quoi est-il désirable, ou pas, de transformer le système de retraites existant ? Peut-on interdire les licenciements et pourquoi ? Le secteur public est-il plus, ou moins efficace que le secteur privé ? Qui pilote la planche à billets, et peut-on la mobiliser pour réaliser une transition écologique ? En quoi une décroissance économique organisée en France mènerait, ou non, à devenir vassal des autres puissances mondiales ?

Ainsi, concrètement, les grands médias n’ont pas besoin de recourir à la censure ou aux fake news pour représenter et soutenir le pouvoir économique. Par contre, il faut que ses agents (les journalistes) partagent les mêmes intérêts que ce pouvoir, ou soient en large partie alignés idéologiquement avec ce pouvoir, afin qu’ils soient peu critiques à son égard. Cela s’opère assez naturellement (et donc discrètement) via les processus de formation et de recrutement des journalistes qui accèdent à ces grands médias, dont on s’assure que l’idéologie est proche de celle du pouvoir économique (le libéralisme économique est la seule alternative viable), mais aussi, au cours de leur carrière, via des liens personnels créés avec les pouvoirs politique et économique, qui permet aux agents de ces trois pouvoirs de partager des intérêts similaires.

Le « pouvoir populaire ».

J’ai également adjoint au pouvoir une composante « secondaire » : le « pouvoir populaire ».

Le peuple d’une Nation est multiple, composite, si bien que les politiciens le récupèrent à leur guise : le peuple penserait comme eux. Ma définition réduit le peuple à sa composante de contre-pouvoir, c’est-à-dire à sa capacité à influer effectivement sur les grandes décisions de société qui sont prises. Celui-ci dispose d’un certain nombre d’outils qui lui permettent de former un contre-pouvoir effectif (et c’est heureux, car nous sommes en démocratie après tout). On peut ainsi citer le vote, l’interpellation de nos élus par courrier, mails etc., la prise de parole et l’expression d’idées en privé et dans les lieux publics, sur les réseaux sociaux, dans les petits médias dits « alternatifs », et plus rarement dans les grands médias, les pétitions, les manifestations, les grèves, voire des actes illégaux comme la dégradation de matériel (graffitis, affichages illégaux, casse…), ou les violences.

Par la suite, je mettrai les petits médias alternatifs dans cette composante du pouvoir plutôt que dans le pouvoir médiatique, pour plus d’efficacité dans mes raisonnements. Il s’agit des chaînes type Youtube, des blogs, et  des médias possédés et financés seulement, ou en large majorité, par leur lectorat.

Le peuple peut plus ou moins s’organiser collectivement pour peser dans les décisions économiques et politiques, et dans les représentations médiatiques, par exemple via des syndicats, des associations, voire des partis politiques, ou alors à titre individuel. Pour que ce contre-pouvoir soit effectif, il faut qu’il dispose de moyens humains (du temps disponible), techniques et financiers pour s’organiser.

En résulte un pouvoir qui vise la maximisation des profits du pouvoir économique

Le pouvoir défini par l’interaction entre ces 4 composantes s’auto-organise avant tout de manière à ce que les grands actionnaires puissent accumuler, et même maximiser, les profits à court-terme. Il ne s’agit pas forcément de décisions concertées par un petit groupe de gens, mais plutôt d’une organisation qui émerge d’elle-même (on parle de phénomène d’émergence), car les différents agents du pouvoir économique partagent des intérêts communs (maximiser leurs profits), une même culture et une même idéologie qu’on pourrait résumer par la formule « la maximisation de nos profits à court-terme est bonne pour la société dans son ensemble ». Cela les amène, sur certains sujets économiques, à « pousser dans le même sens » auprès du pouvoir politique et médiatique, parfois de manière concertée via des associations, parfois non. La résultante de leurs pressions individuelles peut alors s’interpréter simplement sur ces sujets comme si un agent unique « pouvoir économique » décidait.

Le pouvoir politique, influencé par le pouvoir économique et partageant son idéologie, prend des décisions qui sont largement favorables à la maximisation des profits du pouvoir économique. Cet état de fait n’est pas inéluctables, car le pouvoir politique est également influencé par le contre-pouvoir populaire, via les élections (la volonté de se faire réélire), mais également via l’ensemble des outils que le contre-pouvoir populaire peut mobiliser. Actuellement (depuis les années 1980 et le « tournant libéral »), on constate que ces contre-pouvoirs sont moins puissants que le pouvoir économique.

Le pouvoir médiatique est structurellement lié au pouvoir économique, et, au premier ordre, représente les intérêts de ce pouvoir. De plus, en ne fournissant pas les clés de compréhension critiques à leurs lecteurs/ téléspectateurs au sujet du pouvoir en place et de son fonctionnement, en présentant des débats complexes comme simples et déjà tranchés, participe de fait à la stabilité et au bon fonctionnement à court-terme du pouvoir, dans son objectif de maximisation des profits pour le pouvoir économique. Cela se fait cependant, d’après moi, au détriment de la légitimité à long-terme de ce pouvoir, qui est déjà en train de s’effriter pour cause d’incohérence entre les représentations de la réalité présentées dans les grands médias et le vécu des gens. Par exemple, l’Union Européenne est régulièrement présentée dans les grands médias comme la maison idéale de la prospérité de ses Etats Membres (qu’il faudrait certes réaménager un peu, mais n’en pas changer ni les fondations ni les murs), vision en contradiction avec la réalité vécue par un nombre grandissant de Français. En ce moment, le développement de la technologie 5G est essentiellement présenté par les grands médias et le pouvoir politique sous un angle positif, et comme une absolue nécessité à laquelle il ne faudrait pas même réfléchir, vision en contradiction avec celle des Français, qui se posent beaucoup plus de questions à ce sujet (ceux tirés au sort pour la Convention Citoyenne pour le Climat se sont même positionnés contre le développement de la 5G) .

Le contre-pouvoir du peuple, lui, peut porter toutes sortes de revendications, tenant plus ou moins compte de l’intérêt général, plus ou moins compte du long-terme, et étant plus ou moins antagoniste avec les intérêts du pouvoir économique. Ce contre-pouvoir s’exprime peu à l’heure actuelle dans les pays développés, si bien que les outils et les objectifs du pouvoir économique apparaissent clairement. Cette apparente faiblesse du contre-pouvoir populaire peut s’expliquer par plusieurs raisons, qu’il conviendrait de détailler : représentation historiquement forte des classes moyennes qui vivent encore confortablement, ont un patrimoine (certes modeste) à perdre, et pensent ainsi partager des intérêts communs avec le pouvoir économique ; effets du pouvoir médiatique sur les 30 dernières années par un discours associant la peur à toute proposition de changement, notamment alimenté par la chute du contre-modèle communiste ; politiques de management dans les entreprises favorisant une vision individuelle du mérite et de la progression de carrière, etc. Cela a d’ailleurs fameusement fait dire à Warren Buffet (membre éminent du pouvoir économique américain) que la guerre des classes existait et que sa classe à lui [le pouvoir économique] était en train de la gagner.

Si j’ai gardé cette définition du pouvoir, c’est qu’elle me semble être la plus efficace pour comprendre la marche de notre société actuelle. En d’autres termes, c’est celle qui me semble expliquer le mieux ce que j’observe en France et dans le Monde actuel via les différents médias que je regarde, grands médias (BFM, TF1, CNEWS, Le Monde, Les Echos, Marianne, France Inter, France Culture…) comme médias alternatifs.

Cette définition n’est pas intemporelle : il va de soi, par exemple, que le pouvoir sous l’Ancien régime n’était pas composé de la même manière. D’autre part, cette définition ne vaut que pour les pouvoirs capitalistes, dans lesquels des actionnaires privés possèdent les entreprises. D’évidence, le pouvoir n’était pas composé ainsi dans l’URSS, dont l’économie était communiste.  De plus, je parle bien des pouvoirs capitalistes, car chaque pays capitaliste a ses spécificités, bien que les quatre composantes y sont toujours présentes et s’y articulent largement dans le même sens.

Cette définition me permet, dans le post suivant, d’aborder le comportement du pouvoir capitaliste dans différentes conditions d’accès à la ressource énergétique, absolument cruciale dans nos économies.

Ce que le COVID-19 nous apprend sur le pouvoir

Dans ce post pour temps de crise (publié le 17 mars), je mène une analyse rapide des conséquences de l’apparition du coronavirus sur différents secteurs de l’économie : la santé, l’aviation, le pétrole, et l’économie en général. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une synthèse des éléments que j’ai pu lire à ces sujets. Ensuite, j’essaye d’interpréter la manière dont le gouvernement français réagit, et je me permets de proposer ma vision de ce que cette réaction pourrait continuer à être. Chemin faisant, j’en tire des enseignements sur la manière dont le pouvoir est structuré, et sur ce qui motive ses choix.

Il me semble en effet que la crise que nous traversons nous fournit un excellent cas d’étude pour explorer et comprendre comment le pouvoir décide d’agir, ou de ne pas agir : il s’agit d’une période d’agitation extrême où le pouvoir doit prendre de nombreuses décisions rapidement, ce qui les rend d’autant plus visibles, et lisibles.

Je vais donc tenter de prendre position et de poser les hypothèses qui me semblent utiles pour comprendre cette crise et la manière dont elle est gérée, afin d’inspirer, faire réagir, et, du mieux possible, informer. Ce faisant, comme une crise est par définition inattendue, je propose ici une réaction à chaud qui manquera certainement de recul sur quelques points. Cette réaction se veut donc être le point de départ de discussions et débats, et non leur aboutissement.

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Nous sommes en train de traverser une crise, c’est indéniable. Une crise se caractérise par le fait qu’elle est passagère et qu’elle débouche sur une situation à nouveau apaisée, parfois après des changements, parfois pas, et parfois en laissant des séquelles, parfois pas.

La présente crise est d’origine sanitaire (un virus qui met en danger la santé des gens),  mais elle révèle les faiblesses d’autres pans de notre société, qui entrent en crise à leur tour par effet domino.  Comprendre ces faiblesses permet de mieux comprendre comment ces pans fonctionnent en temps normaux, et pourquoi ils réagissent ainsi face à une crise.

Une économie optimisée pour les temps normaux, mais qui ne résiste pas aux crises

Notre système de santé

En premier lieu, et de manière assez évidente, une crise sanitaire met en branle les systèmes de santé. Ainsi, une crise sanitaire mondiale mettra en exergue les forces et faiblesses des différents systèmes de santé de par le monde. Un système de santé va devoir d’une part soigner (apporter des soins) et si possible guérir, un nombre de patients grandissant en fonction de l’épidémie. Le danger étant que la capacité maximale du système de santé soit atteinte. Ce que j’appelle pompeusement « capacité maximale », c’est, de manière imagée, le nombre maximal de patients que le système peut soigner en même temps. Les exemples des autres pays montrent que ce facteur est déterminant dans la mortalité du virus. Entre un système qui a le matériel respiratoire et le personnel suffisant pour accueillir et soigner, et un système qui manque de ces facteurs, la mortalité varie grosso modo d’un facteur dix (de 0,4% à 4%).

Cette capacité est plus ou moins grande en fonction des philosophies des systèmes de santé, mais dépend toujours du besoin « habituel moyen » de soins. Elle peut également prendre en compte des besoins « de pointe », c’est-à-dire tenir compte du fait que des crises peuvent survenir. Dans ce cas, le système est alors « surdimensionné » en temps normaux, mais permet de soigner beaucoup de gens en temps de crise. Cette situation soulève la notion de choix politique : une société pourrait choisir un système dimensionné uniquement sur les « temps normaux » ou au contraire se payer un système qui permet de franchir des crises, avec une certaine marge de sécurité. Le choix est politique, et met en jeu des financements différents.

Dans nos démocraties capitalistes, le « choix » qui a été fait depuis les années 80 est d’aller vers une optimisation économique, par nature adaptée finement aux « temps normaux ». On a ainsi vu apparaître le bed management, retranscription de l’optimisation de chaines de production industrielles dans le système de santé. Le choix a donc été fait, par une réduction progressive des dépenses, de s’optimiser sur le court terme sans tenir compte des crises qui secouent régulièrement les sociétés humaines sur le temps plus long.

Une question légitime est alors de savoir si, en tendance, on peut s’attendre à une augmentation du nombre de crises, ou à une diminution (car dans ce cas, on pourrait justifier un choix vers une optimisation court-termiste). Etant donnés l’augmentation globale des diverses pollutions (pollution de l’air dans les villes, usages des pesticides), la destruction grandissante des habitats de diverses espèces animales, poussant les animaux sauvages à se rapprocher des lieux de vie humains, ce qui augmente ainsi les risques de transmission/mutation de virus animaux vers l’humain, et le réchauffement climatique (modifications environnementales qui vont favoriser la migration  et l’adaptation d’agents pathogènes, selon les chercheurs du GIEC), on peut sans risque parier sur une augmentation des crises sanitaires dans les décennies à venir (en tous cas si les facteurs que je viens de citer restent inchangés).

D’autre part, le degré d’optimisation est tel que le système hospitalier français est déjà en crise sans même le coronavirus, le nombre de personnels soignants étant trop bas pour avoir de bonnes conditions de travail, pourtant cruciales dans le système de santé. On disposait de 9 lits d’hôpital pour 1000 habitants en 1996, contre 6 aujourd’hui (14 en Corée du Sud), soit une baisse de 30 %. Ces moyens supplémentaires constituaient une marge pour absorber le genre de crise que nous vivons actuellement. Cette marge permettait également un plus grand confort de travail pour le personnel soignant et donc des soins de meilleure qualité. Cette tendance existe ailleurs : en 10 ans, le système italien a réduit de 37 Mds€/an les dépenses pour son système de santé, diminuant de 70 000 lits la capacité de l’hôpital, et fermant 359 services et abandonnant de petits hôpitaux.

Mais tout ceci, vous le saviez certainement déjà étant donné le traitement médiatique abondant sur le sujet en ce début de crise.

Notre industrie

Une crise sanitaire de grande ampleur, en tant qu’elle met en jeu des vies humaines, modifie, là encore de manière évidente, les activités humaines. Une activité particulièrement importante est la production (de biens et de services). Cette production est mise à mal, comme notamment en Chine où un confinement a été rapidement rendu obligatoire dans plusieurs régions. Là, les gens ne peuvent plus travailler, si bien que la production s’arrête. En un mot, le capital humain vient à manquer. Remarquez au passage que si du capital « énergie » venait à manquer (manque d’électricité ou de charbon pour faire tourner les usines, ou manque de pétrole pour faire rouler les camions), la conséquence serait la même. Cela a une importance dans nos sociétés car les économies sont mondialisées, donc l’arrêt du travail dans une zone a des répercussions dans d’autres zones. Ainsi, une crise locale devient globale. Une industrie dont le produit requiert des pièces chinoises se retrouve alors bloquée, même si elle est localisée ailleurs.

Cela ne saurait être un problème si les économies nationales étaient capables de se restructurer rapidement pour assurer une production minimale de biens et de services, tels que produire des vêtements, des produits d’hygiène, la nourriture, les médicaments, et l’énergie. Or, ce n’est plus forcément le cas. En d’autres termes, une économie mondialisée est plus optimisée pour les temps normaux (les coûts de production sont en théorie réduits par la spécialisation des différentes régions du monde, et par les effets d’échelle), mais les conditions anormales qu’elle rencontre se propagent beaucoup plus facilement à travers le globe. On peut alors parler de moindre résilience du système mondialisé par rapport à un système d’économies nationales plus autonomes sur les biens et services de base précités. On peut là encore voir ce « choix » (la mondialisation ne s’est pas faite toute seule mais par un ensemble de choix politiques plus ou moins concertés) comme une préférence pour l’optimisation de court-terme par rapport à la résilience aux chocs que les sociétés humaines traversent régulièrement sur le long-terme. Par exemple, ne pas avoir la main, pour une Nation, sur la production de médicaments et de matériels médicaux permettant le bon fonctionnement du système de santé national, pose la question de la résilience de cette Nation à une crise sanitaire.

Le virus se propageant via les personnes, la crise révèle également la massification des flux de personnes (tourisme, business), qui est relativement récente. Cette massification est principalement due à la montée des classes moyennes dans le monde (essentiellement en Chine), et à l’arrivée des compagnies aériennes low cost. L’industrie aéronautique, en tant que vecteur du virus, est directement affectée par cette crise (certains gouvernements empêchent les individus d’entrer dans leur pays, en fonction de leur nationalité et de la situation sanitaire dans les autres pays). Cela implique directement les compagnies aériennes, les aéroports avec tous leurs commerces et services, les contrôleurs aériens, et, si la crise vient à durer, les industries qui conçoivent et produisent les avions.

Le secteur de l’énergie

Vous avez dû également entendre que l’industrie du pétrole était impactée. C’est que l’industrie, et en particulier l’industrie aéronautique, sont des consommateurs importants de pétrole. Ainsi, lorsque les activités humaines viennent à se contracter, elles demandent moins de pétrole. L’industrie pétrolière devrait donc voir son activité se contracter également, si la crise vient à durer. Cela se traduit, à court terme, par une baisse du prix du pétrole (c’est le signal qu’on produit trop de pétrole). C’est de mauvais augure à moyen terme, car ce signal incite à moins investir dans l’exploration et l’exploitation de pétrole, ce qui pourra mener à des manques de pétrole futur, et donc à des crises économiques car il sera trop cher. Et paradoxalement, ce prix bas n’incite pas non plus les acteurs économiques à investir dans des énergies alternatives au pétrole !

Vous l’aurez compris, les économies sont connectées au niveau mondial, et les différents secteurs de l’économie sont également interconnectés.

Le secteur de la finance

Cela pose un problème, en temps de crise, pour le secteur financier. Le secteur financier a pour rôle de financer l’économie. En d’autres termes, il a pour rôle de déterminer où l’argent devrait aller ; il choisit donc combien de personnes peuvent travailler, et avec quels moyens, dans les différents secteurs de l’économie ; il détermine quelles activités développer, et quelles activités stopper. Pour ce faire, il prête de l’argent à ces différents secteurs, qui doivent ensuite le lui rembourser avec des intérêts. Mais en temps de crise, les différents secteurs peuvent en arriver à avoir des retards dans le paiement de leurs dettes, voire peuvent faire défaut (ils ne remboursent pas tout). Ainsi, par exemple, le secteur pétrolier américain s’est beaucoup endetté pour se développer, et la baisse du prix du pétrole pourrait faire qu’il n’arrive pas à être assez rentable pour rembourser ses dettes. De tels défauts de remboursement, s’ils se généralisaient à cause de la crise de production, déstabiliserait alors le secteur financier, et pourrait mener à une « crise systémique », allant plus loin que celle de 2008. Dans ce genre de crise, une banque (dont les créanciers ne pourraient plus rembourser leurs dettes) fait faillite, ce qui entraîne la faillite d’autres banques car les banques se sont fait des prêts entre elles et ne peuvent plus se rembourser. Dans le pire des cas, les moyens de paiement ne sont plus assurés. Pour la crise de 2008, les Etats étaient venus en aide aux banques pour éviter ce scénario du pire. Mais si la crise est trop importante, il se pourrait que les Etats n’aient pas les moyens suffisants pour l’éviter. Une solution généralement mise en avant dans ce cas est la nationalisation des banques en question, et une reprise en main par l’Etat de leurs activités, afin d’assurer les paiements.

Le passage en revue de ces divers secteurs illustre à quel point nos systèmes économiques se sont spécialisés finement et efficacement dans la gestion des affaires courantes, tout en oubliant les soubresauts plus rares, mais qui existent et continueront d’exister. Il s’agit donc d’un pilotage de notre économie de plus en plus court-termiste. Dit autrement, notre économie semble être pilotée par un pilote qui aurait une mémoire de plus en plus courte, oubliant ce qu’il aurait vu au long du chemin déjà parcouru : les virages en épingle, les nids-de-poule… Et réglant ainsi sa machine pour ne suivre plus que les courbes et les états de route « habituels ».

D’autre part, et de manière intéressante, la crise révèle les rouages physiques de notre économie. Enfin les médias abordent-ils (timidement) la manière dont nos biens et services sont produits, où, et par qui.

Et pour autant, peut-on dire, et pourra-t-on dire après la crise du coronavirus, que les médias nous ont informé de manière juste et équilibrée, sur cette crise, sur ses dynamiques, sur les dangers réels qu’elle représente ?

Comment le pouvoir réagit-il face au virus ?

Pour répondre à cette question, je vais devoir développer de manière plus profonde comment cette crise révèle des éléments cruciaux sur la structure du pouvoir dans nos démocraties capitalistes.

Le pouvoir s’intéresse manifestement beaucoup au coronavirus. On peut alors se demander pourquoi il ne s’intéresse pas autant à d’autres sujets qui mettent également en jeu de nombreuses vies, voire l’intégrité des démocraties capitalistes elles-mêmes : le réchauffement climatique, la quantité de pétrole qu’il nous reste, ou encore la chute de la biodiversité.

Une rapide théorie du pouvoir

Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Non, il y a trois équipes de pilotes…

Ce que j’appelle par la suite « le pouvoir » n’est pas uniquement le pouvoir politique (le gouvernement, et les divers échelons de structures politiques élues, tels les municipalités, ou les régions), mais l’ensemble des institutions qui, au premier ordre, décident de la marche de nos sociétés : les acteurs de la finance (et en particulier les grands actionnaires qui possèdent de larges pans de l’économie et qui cherchent à en tirer des profits à court terme), le pouvoir politique (dont je viens de parler : le gouvernement etc.), et les grands médias (possédés par l’Etat ou des actionnaires privés). Les premiers orientent les grands choix économiques (dans quels secteurs investir) ; les seconds décident des règles du jeu cadrant les activités économiques (entre autres, mais c’est cet aspect qui va m’intéresser ici) ; les troisièmes décident des grands sujets à soulever, à aborder (ou non) dans la société, et de la manière de les développer (qu’on appelle « l’angle » du sujet).

Une idée particulièrement puissante à notre époque dans les démocraties capitalistes occidentales, et que je vais utiliser comme hypothèse de travail par la suite, est que ces trois pouvoirs fonctionnent en fait de concert et partagent les mêmes orientations idéologiques et les mêmes intérêts. Ces intérêts ne sont pas toujours compatibles avec l’intérêt « général » (qui est une notion théorique signifiant qu’on prend une majorité des gens en considération lorsqu’une décision collective est prise). Le pouvoir actuel, selon moi, peut se définir comme la conjonction de ces trois pouvoirs.

Ainsi défini, il semble que ce pouvoir ne désire pas spécialement se pencher sur les sujets que je viens de mentionner (réchauffement climatique, pétrole, biodiversité). Au contraire, il semble désirer ardemment se pencher sur le coronavirus. Autrement dit, tout se passe comme si le pouvoir aimerait une réaction forte de la société sur le coronavirus, et une réaction faible sur le réchauffement climatique, sur le possible déclin à venir de l’approvisionnement en pétrole, ou sur la crise de biodiversité.

… Qui travaillent main dans la main dans un objectif commun

Une hypothèse particulièrement puissante pour expliquer ces choix est que le pouvoir s’auto-organise avant tout de manière à ce que les grands actionnaires puissent accumuler des profits à court-terme. Il ne s’agit pas forcément de décisions conscientes par un petit groupe de gens, mais plutôt d’une organisation qui émerge d’elle-même (on parle de phénomène d’émergence), car les différents agents du pouvoir partagent une même culture et une même idéologie (qu’on pourrait résumer par la formule « l’accumulation du capital est bonne pour la société dans son ensemble »). Ainsi, au premier ordre, les acteurs de la finance (les grands actionnaires et le secteur financier) réalisent leurs placements financiers dans les secteurs qui lui permettent de générer le plus de profits à court terme. Le politique organise les règles du jeu, sous l’influence majoritaire de ces premiers acteurs par le biais des entreprises qu’ils possèdent, et qui disposent d’une importante force d’influence (les lobbies). Les règles sont ainsi largement favorables à la génération de profits à court terme pour ces acteurs. Quant aux grands médias, ils représentent principalement les intérêts de ces mêmes acteurs, et prennent leur point de vue idéologique.

J’insiste ici sur le fait que cette description du pouvoir est certes puissante pour comprendre les grandes directions prises par notre société, au premier ordre, mais elle n’est pas suffisante pour comprendre le détails des événements et leur déroulement précis. J’affine et je nuance cette description par la suite.

Le pouvoir n’aime pas trop le coronavirus, mais il n’est pas contre un bon petit réchauffement climatique

Le coronavirus pose évidemment un risque fort sur l’objectif d’accumulation des profits visé par le pouvoir, en bloquant l’économie (si la population panique, par exemple). Mais il met aussi directement en danger la vie des acteurs de ce pouvoirs : les grands actionnaires, les dirigeants industriels et de la finance, les hommes politiques, les grands journalistes ne sont pas immunisés contre ce virus. C’est donc un sujet de première importance pour le pouvoir que je viens de définir.

Au contraire, réagir face à la crise climatique ou à la crise de la biodiversité rapidement reviendrait pour le pouvoir à ne pas maximiser les profits à court terme : pour maximiser, il vaut mieux exploiter de nouveaux terrains pour l’industrie agroalimentaire plutôt que de ne pas les exploiter, même si c’est au prix de pertes de biodiversité ; il vaut mieux exploiter le charbon, le gaz et le pétrole que nous avons en stock dans les mines de charbon et les puits d’hydrocarbures, pour produire des biens et des services, plutôt que de ne pas le faire, même si c’est au prix d’une aggravation du réchauffement climatique.

C’est pourquoi le pouvoir ne désire pas soulever le sujet des externalités négatives de ces activités. Bien au contraire, ces sujets sont plutôt traités sous l’angle quasi-exclusif des bienfaits (souvent réels à court-terme) des activités en question (l’agroalimentaire permet de nourrir la population, les combustibles fossiles permettent de disposer du confort moderne, etc.) ou sous l’angle des petits gestes que ces industries font (mettre un peu moins d’engrais, développer un secteur « énergies renouvelables » à côté des activités « oil & gas » dominantes, etc.). Et si jamais le sujet du réchauffement climatique est abordé en tant que tel, c’est simplement pour mettre en avant les petits gestes individuels qui ne remettent pas fondamentalement en cause la structure et l’objectif du pouvoir.

Il me semble que cette définition du pouvoir est puissante, en ce qu’elle permet de bien comprendre les macro-décisions prises par nos sociétés. Ce que j’appelle les macro-décisions sont les grandes directions prises par nos sociétés, en faisant comme si la société décidait d’elle-même, et sans chercher à comprendre précisément quel collège d’acteurs a concrètement mené à prendre cette direction. Car ces directions sont en fait impulsées par de nombreux acteurs qui poussent chacun dans certaines directions, et je m’intéresse ici à la résultante de ces jeux d’acteurs.

A quoi s’attendre avec un tel pouvoir pour la suite de cette crise ?

Cette définition permet de comprendre les macro-décisions prises par nos sociétés, sans les juger moralement. Elle me permet également de faire un peu de prospective : à quoi peut-on s’attendre, avec ce pouvoir ainsi défini, sur la gestion de la crise ?

On peut s’attendre a priori à des entreprises qui vont pousser leurs salariés à travailler sans tenir compte de l’estimation du risque scientifiquement établi. Ni tenir compte de l’estimation des risques épidémiologiques (à l’échelle de la société) de propagation du virus. Sans moi-même connaître ces estimations, je m’attends alors à ce que l’échelle de management des entreprises (des propriétaires/actionnaires, aux chefs de services locaux) invite les salariés à travailler, ou à poser des congés (pour éviter les pertes économiques pour l’entreprise), si le gouvernement leur laisse le libre choix (ce qui est le cas pour l’instant en France). Cela permet, pour chaque entreprise, de limiter les pertes de profits microéconomiques, quitte à faire courir des risques à la société. Remarquez que certaines entreprises (telles Peugeot ou Renault) ont décidé de fermer leurs usines. Elles l’ont fait d’elles-mêmes, mais avec la garantie que le paiement du chômage technique serait assuré par l’Etat, ce qui limite fortement leurs pertes, et sous la pression des salariés (via les syndicats), qui désiraient éviter la propagation du virus entre eux.

Au niveau médiatique, on peut s’attendre à des informations tendant à minimiser les risques si ceux-ci s’avèrent tels qu’ils mettraient en cause les activités économiques. Par contre on peut s’attendre, si ces risques sont en fait assez faibles, à des informations claires et précises sur la dangerosité, sur les symptômes, sur ce qu’il se passe dans les hôpitaux, etc. C’est à mon avis la première option qui est en train de se dérouler. Ainsi, les angles médiatiques se focaliseront sur les mesures prises, sur leurs impacts économiques (annulations d’événements, de trajets, craintes de faillites d’entreprises et de pertes d’emplois), et assez peu sur les symptômes réels, sur la souffrance générée par la mort des proches, sur les séquelles que les cas graves auront suite à leur hospitalisation s’ils survivent, sur les lois de propagation du virus, sur la manière dont les systèmes asiatiques ont réagi et pourquoi ils ont réagi bien plus fortement que nous. Ils se focaliseront sur l’Italie en se demandant si « elle n’en ferait pas trop », plutôt que si « on ne devrait pas faire rapidement comme eux », etc. On peut également s’attendre à un discours sur le fait que « les gens ne sont pas prêts à abandonner leur liberté de consommer en démocratie » (consommer des spectacles, des vacances, des événements…), une focalisation naturelle sur le fait « qu’il faut faire attention à ne pas perdre les emplois » plutôt que  sur le fait de « ne pas perdre des vies », etc.

Attention, je ne dis pas que toute activité économique devrait s’arrêter, car dans ce cas on ne pourrait plus se nourrir (l’agriculture, l’industrie agroalimentaire, la grande distribution, les commerces de proximité, etc, s’arrêteraient de fonctionner), se soigner (ce qui serait dommage dans notre situation), conserver une hygiène décente, etc. très longtemps. Une gestion « rationnelle » de la crise serait alors de faire fonctionner tous les secteurs économiques « vitaux », et d’arrêter les autres afin de limiter la propagation du virus. Selon mon hypothèse, une telle gestion rationnelle ne sera mise en place que le plus tard possible par le pouvoir. Autrement dit, je pense que des secteurs non vitaux vont continuer à fonctionner, au prix de contaminations supplémentaires. Par exemple, malgré les annonces présidentielles du 12 mars de continuer les commerces seulement essentiels, rien n’a été imposé à la partie non commerciale de l’économie : la production de voitures, d’avions, de meubles, de jeux vidéo, de logiciels, d’armes, etc, peut continuer, au bon vouloir des gérants de ces industries.

Le quatrième pouvoir de nos démocraties : le peuple

Je vais finalement nuancer mon hypothèse de travail par un facteur supplémentaire : le « peuple ». En effet, il se trouve que le fonctionnement du pouvoir que je viens de supposer est modifié lorsque le « peuple » agit, ou s’exprime, intensément (et c’est bien la moindre des choses dans une démocratie que le peuple ait son mot à dire). Dans ces cas d’expression intense, on peut voir l’influence de ce facteur dans le discours médiatique, et parfois même dans la macro-décision prise par le pouvoir. Par exemple, le discours médiatique sur la réforme des retraites a légèrement changé lorsque de vastes grèves et manifestations ont eu lieu (on est passé de « les privilégiés du système des retraites l’empêche de changer », à « ce changement de système est complexe et mériterait de plus amples explications et plus de pédagogie pour rassurer »). Ou encore, le discours médiatique sur les violences policières lors du mouvement gilet jaune est passé de « le système de maintien de l’ordre a été irréprochable et toutes les violences ont été déclenchées en premier lieu par les gilets jaunes » à « en effet des violences policières illégales ont eu lieu ». Le facteur « peuple » peut donc avoir son importance en particulier via les réseaux sociaux.

Dans le cas de la crise actuelle, on pourrait conclure de mon hypothèse de travail sans le facteur « peuple » qu’aucune entreprise ne fermerait, et qu’aucune modification de l’organisation des entreprises (télétravail, travail au 3×8, en équipes séparées, etc.) n’aurait lieu, afin de continuer à générer le plus de profits possibles pour les acteurs de la finance. Mais c’est sans tenir compte de la peur du peuple, qui peut radicalement changer la donne en cas d’épidémie massive et tout désorganiser, ce qui constitue la crainte ultime du pouvoir.

Lors de cette crise, une fois n’est pas coutume, l’informateur et influenceur du pouvoir a été la Science. La Science non pas pour la beauté de la science et de sa vérité (car sinon la crise climatique serait déjà résolue), mais la Science en ce qu’elle pouvait informer le pouvoir sur le risque de panique générale : « si vous ne faites rien, la France aura entre 300 000 et 500 000 morts en quelques mois », ont dit les épidémiologistes. Et on aurait pu ajouter, en sous-titre : « et ce sera la panique générale ». Egalement, la Science en ce qu’elle informait des risques de décès encourus par les acteurs du pouvoirs eux-mêmes et leurs proches.

Le peuple peut aussi s’exprimer directement, bien que cela soit moins le cas pour cette crise : plus les réseaux sociaux relaieront des informations scientifiques sur le coronavirus, sur les symptômes, les statistiques, les dynamiques de propagation, les raisons des stratégies des autres pays ; plus le personnel médical, et les épidémiologistes relaieront ce qu’il se passe concrètement sur le terrain via ces réseaux, ou directement vers le pouvoir ; plus les syndicats exprimeront la peur des salariés d’aller travailler, plus le pouvoir devra en tenir compte, et réagir. Les grands médias, les grands dirigeants d’entreprise commenceront ainsi à s’intéresser à ces sujets, puis le gouvernement le fera.

Ce « quatrième pouvoir » (le peuple), s’il veut faire entendre la voix de l’intérêt général, doit donc s’informer, analyser, s’exprimer, débattre, et partager pour influencer les trois premiers pouvoirs. Il peut se faire entendre via diverses formes de corps intermédiaires (les syndicats, les associations…). Sans cela, les actions seront certainement plus lentes, trop tardives, comme elles l’ont déjà été dans ces premières phases de l’épidémie, au détriment de la santé publique.

J’espère que la vision et les enseignements développés dans ce post pourront vous servir à analyser les autres crises que nous connaîtrons, ou connaissons déjà, ou tout du moins à vous poser de nouvelles questions sur ces crises et sur le pouvoir en démocratie capitaliste. Ils sont par exemple précieux, selon moi, pour mieux comprendre comment la crise climatique est traitée par les grands médias et par les gouvernements.

La COP21 : good COP / bad COP ?

En ce début d’année 2016, tous les  quelques  peu de grands médias mondiaux ont la même question à la bouche : la COP21 a-t-elle été un succès ? Vous vous posez d’ailleurs peut-être la question, vous qui suivez les médias ! Le suspense était insoutenable depuis la dernière « Conférence des Parties » à Lima au Pérou : on se demandait si les « parties » allaient enfin prendre une décision importante pour l’avenir du monde. Seraient-elles enfin des « parties génitrices » dignes de ce nom ? Génitrices d’un accord mondial sur le climat, bien sûr.

Seul Matt Damon, sur Mars, et nos amis non-voyants, n'ont pas eu la chance de voir ce logo l'année dernière... | francebleu.fr
Seul Matt Damon, sur Mars, et nos amis non-voyants, n’ont pas eu la chance de voir ce logo l’année dernière. | francebleu.fr

Avant de répondre à cette question, reprenons les choses depuis le début, au cas où vous étiez sur Mars pendant toute la fin 2015, en train de manger des patates avec Matt Damon: qu’est-ce qu’une COP ? Et qu’est-ce qu’une « partie » ?

Bébé COP

Imaginez une conférence réunissant la plupart des pays du monde (les Nations Unies) pour parler de notre climat. Cette grande conférence serait organisée chaque année, à différents endroits du globe. Et tenez-vous bien, les pays y décideraient de faire des efforts pour diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre ! Et bien cette conférence existe, et elle s’appelle COP (dites « Conference Of ze Partiz » si vous voulez vous la péter un peu). En effet, les pays ont un jour décidé qu’ils allaient se réunir tous les ans, pour parler du climat. Ils devaient sacrément s’ennuyer tous seuls dans leur coin, pour prendre cette décision non ? 😛

Disons plutôt que dans les années 1970, les gens normaux comme vous et moi, et les chercheurs, ont commencé à poser des questions légèrement embarrassantes à leur gouvernement : dites donc messieurs (oui, les gouvernements sont généralement des messieurs), qu’est-ce que c’est que ce climat qui se détraque ? Qu’est-ce que c’est que cette eau polluée ? Et cet air pas très pur ? Ce que les gouvernements ont entendu d’après moi, c’est plutôt : dites donc, on ne risque pas de sacrément perdre des sous si jamais toutes ces pollutions nous touchent plus que les autres pays ? Et alors là, les différents pays se sont mis d’accord pour se rencontrer et parler de ça. Ils se sont vus à Stockholm en 1972 pour parler d’environnement. Cela n’a pas donné grand-chose.

COP à Cabana

20 ans plus tard, les mêmes problèmes s’étaient évidemment accentués, et nos chers pays se sont remis autour de la table, à Rio de Janeiro. C’est là qu’ils ont décidé qu’il ne serait pas mal que notre développement soit « durable ». L’idée était que « l’amélioration » de nos vies ne mette pas en péril la vie des générations futures. On a déjà parlé de cette idée, surtout en ce qui concerne le climat ; vous savez, l’idée que notre consommation d’aujourd’hui a des effets de long terme sur notre environnement et donc sur nous plus tard. L’exemple dont je vous parle souvent, c’est qu’acheter un ordinateur rejette 1000 kg de CO2 dans l’atmosphère, et ces 1000 kg y restent plusieurs siècles ! Donc oui, il est bon de se poser la question de savoir comment adapter nos comportements d’aujourd’hui pour notre propre futur et celui des suivants.

Moi aussi je voulais participer au sommet de Rio pour l'environnement !! | en.wikipedia.org
Moi aussi je voulais participer au sommet de Rio pour l’environnement !! | en.wikipedia.org

A la fin des années 1980, les pays décidèrent que les chercheurs qui pouvaient apporter de la connaissance sur le climat devraient se réunir régulièrement pour produire des (gros) rapports sur l’état du climat, d’une part parce que de nouvelles recherches sur le climat montraient clairement que les hommes sont responsables de l’augmentation de l’effet de serre, d’autre part parce qu’il fallait quelque chose à se mettre sous la dent pour la réunion à Rio (d’autre que la Feijoada, ce fameux cassoulet brésilien), en 1992. C’est ainsi que le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) est né. Il s’agit d’un groupe international qui organise la recherche sur le climat, et qui est financé par les pays eux-mêmes. Depuis, ce groupe sort un rapport résumant les avancées de la recherche sur le climat tous les 4 ou 5 ans.

Bref, vous l’avez compris, tout était bien parti à Rio pour qu’un plan d’avenir soit fait sur le climat. Attention, je vous arrête tout de suite si vous pensez que ce plan d’avenir, c’était des décisions du genre : « on va limiter le nombre d’achats de voitures et construire plus de tramways et trains ». Non, pas du tout ; en l’occurrence, à Rio, il s’agissait d’un plan pour… mettre en place un plan. Du genre : « ce que je vous propose, c’est qu’on se voit régulièrement pour suivre le problème ensemble et réfléchir à ce qu’on pourrait faire si le problème devient vraiment… problématique. » Les COP étaient créées ! Une COP est une de ces réunions régulières qu’on a décidé de mettre en place au sommet de Rio. Et les « parties » ne sont ni plus ni moins que les différents pays qui se sont mis d’accord pour venir à ces réunions.

La COP est pleine

Alors, que s’est-il passé à la COP de Paris ? Comme d’habitude, les parties se sont réunies pour continuer leurs négociations, tranquille. Non, pas si tranquille, car Paris marquait la fin d’un cycle. A Paris, il fallait obtenir un accord pour que l’aventure des COP continue. Quoi, les parties en avaient marre de se voir ?? En fait, tout aurait déjà pu s’arrêter à Copenhague, en 2009… Reprenons un peu d’histoire pour comprendre l’enchainement des COP. C’est vrai, 20 COP ça fait beaucoup ; il a dû s’en passer des choses pendant les COP !

La COP 1 d’abord ?

La COP la plus importante, ça a été celle de Kyoto, la COP… 3, en 1997. Elle a été importante car pour la première fois les pays se sont mis d’accord sur un plan pour réduire leurs émissions de gaz à effets de serre. Evidemment, les pays se sont laissés du temps pour réaliser ce plan : ils se sont dit que la baisse des émissions serait mesurée entre 2008 et 2012. Ils avaient donc 11 ans pour faire des progrès, et ensuite le maître d’école passerait dans les différents pays pour vérifier ces progrès. Quelle serait la punition pour les mauvais élèves ? C’est simple, c’est juste que cela serait trop la honte (ou pas) de ne pas tenir son engagement ! Bon ce qu’il faut grosso modo retenir du protocole de Kyoto, c’est que globalement, il n’y a pas eu de progrès, et même les parties ont fait pire (nos émissions mondiales ont continué à augmenter). Mais bref, là n’est pas l’objet de ce post. Jusqu’en 2008, les pays ont commencé leurs efforts de préparation ; en 2007, lors de la COP 13, ils se sont dit qu’il faudrait peut-être prévoir quelque chose après 2012, pour continuer les « efforts ».

Moi aussi je voulais participer à la COP 3 à Kyoto !! | www.karlocamero.com
Moi aussi je voulais participer à la COP 3 à Kyoto !! | www.karlocamero.com

COPenhague

Copenhague (2009) devait justement être la COP lors de laquelle l’après Kyoto serait préparé. Le problème, c’est qu’à l’issue de la COP de Copenhague, la n°15, aucun accord n’était prêt… Alors quelques pays ont décidé qu’on continuerait à se voir, et qu’on essayerait de trouver un accord dont ils ont pondu un brouillon rapidement, pendant la nuit, tels des étudiants la veille de rendre un gros projet. Et bien on peut dire que l’accord de Paris est la version « au propre » du brouillon de Copenhague. Oui, 6 ans pour mettre au propre, c’est que le temps passe vite ! 😕

Moi aussi je voulais participer à la COP 15 de Copenhague !!
Moi aussi je voulais participer à la COP 15 de Copenhague !!

ParisCOPe

Vous l’avez donc compris, la grande réussite de l’accord de Paris, c’est qu’il a abouti à un truc propre, un vrai « accord ». Et figurez vous que dans cet accord, tout le monde a signé, et qu’il n’y a pas de séparation entre les pays développés et les pays en développement, comme c’était le cas dans le protocole de Kyoto. Autrement dit, tout le monde est chaud pour participer ! A-t-il été possible que toutes les parties se mettent d’accord pour faire un vrai effort ? Cela paraît incroyable, pour 195 parties ! L’astuce, car il y en a une, est simple ; il suffit de dire aux participants de faire ce qu’ils veulent. Et là, tout le monde est d’accord pour signer, malin ! 😎 Concrètement, il a été demandé à chaque pays de préparer une déclaration d’effort qu’il serait prêt à fournir pour protéger le climat. L’accord de Paris les force tout simplement à tenir les efforts qu’ils ont eux-même consenti à faire. Est-ce que c’est tant du foutage de gueule que ce que j’ai l’air d’en dire ?

Good COP

Pas tout à fait : déjà, les pays étaient tous d’accord pour dire que le climat méritait un effort. C’est un grand pas, car cela marque la fin du « climatoscepticisme », vous savez, ces pays qui font comme s’ils ne croyaient pas au dérèglement climatique parce que cela remet trop en cause leur mode de vie et leurs intérêts. D’autre part, cet accord permet de mettre tout le monde dans le bateau de la lutte contre le dérèglement climatique : chaque pays devra revoir ses efforts tous les 5 ans, et bien sûr les accentuer (encore une super astuce !). C’est très malin car cela permet aux pays d’augmenter leurs efforts en même temps qu’ils verront les dégâts autour d’eux ou chez eux, et/ou, sous la pression populaire. En d’autres termes, cela permettra de réagir plus vite.

Bref, cet accord est un grand succès diplomatique. Bon, pas tout à fait encore, car il faut que certains pays demande à leurs « habitants » (en fait, les représentants des habitants) s’ils acceptent l’accord de Paris (il faut que ces pays ratifient l’accord). A ce propos, une astuce a été trouvée à Paris (wow, la COP 21 a regorgé d’astuces !) : comme vous l’avez peut-être remarqué, cet accord n’est pas un protocole, ce n’est qu’un accord. Et bien cette subtilité permettra que le président des États-Unis fasse passer l’accord directement dans la loi américaine, sans même demander à ses habitants (alors qu’il aurait dû demander pour un protocole). C’est pratique dans ce pays où les représentants du peuple sont encore climatosceptiques ! 😉

Même la COP de Paris, je n'ai pas pu y aller... :(
Même la COP de Paris, je n’ai pas pu y aller… :(

Bof COP

Mais alors, une fois l’accord ratifié par les pays, qu’est-ce qui nous garantit que les pays joueront le jeu en vrai ? D’une part, les pays qui ne tiennent pas leurs efforts pourront se retrouver devant un tribunal pour les méchants pays (la Court Internationale de Justice) ; cette court est un tribunal assez sympa, qui essaye surtout de trouver des compromis pour que les pays soient copains entre eux. Si un des pays n’a finalement pas envie de faire les efforts promis et qu’il n’a pas envie d’être copain avec les autres, que se passera-t-il ? Et bien la grande force de l’accord de Paris est, comme pour le protocole de Kyoto, de mettre « la honte » aux pays qui ne jouent pas le jeu. Mettre la honte, cela veut dire que les habitants des autres pays, et sûrement certains habitants du pays qui ne jouent pas le jeu, auront les informations pour dénoncer ce pays, et ils auront un certain pouvoir de « forcer » ce pays à tenir ses promesses. Il s’agit d’un pouvoir « populaire », du genre, faire des manifestations ; et pourquoi pas aussi d’un pouvoir diplomatique à l’avenir, du genre isoler le pays qui ne joue pas le jeu en arrêtant de faire du commerce avec lui… Bref, la force de l’accord est de donner les informations et un certain pouvoir de pression contre ceux qui ne joueraient pas le jeu.

Cela dote en quelque sorte les pays d’un outil qui facilite leur déclaration d’efforts et associe ces efforts à une bonne image du pays. Imaginons que les hollandais, par peur de la montée des eaux chez eux, manifestent contre leur gouvernement pour que des lois soient prises en faveur du climat. Et bien la Hollande peut publiquement et fièrement déclarer qu’elle fera de gros efforts tout en mettant en place ces lois. Cela augmente les chances que d’autres pays l’imitent, et que des habitants d’autres pays manifestent aussi pour le climat.

Bad COP

Chaque pays s’est un petit peu creusé la cervelle pour dire l’effort qu’il avait envie de faire pour que notre climat se porte un peu mieux. Alors quel est le bilan en termes de climat, quand on additionne les efforts de chaque partie ? Pour l’instant, pas de chance : si chacun réussit à tenir ses efforts, notre climat continuera à complètement se détraquer (les experts estiment que le dérèglement atteindra un réchauffement moyen de 3,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle, alors que l’objectif est de rester sous les 2°C, et qu’on en est déjà à 0,85°C). Ce que je veux dire, c’est que les efforts déclarés ne sont pas du tout à la hauteur du défi. Il va donc falloir compter sur la révision des efforts tous les 5 ans pour améliorer ce bilan.

En conclusion, cette COP a certainement été la meilleure COP qu’il était possible d’obtenir aujourd’hui, fin 2015. Elle est un cadre qui incitera les pays à prendre en compte le climat dans leur politique, et qui leur permettra de suivre au plus près l’évolution culturelle de leurs habitants sur le climat. Cela facilitera la remontée au niveau législatif national, des actions locales entreprises par les habitants, c’est-à-dire qu’il sera plus facile d’inscrire dans la loi d’un pays les avancées faites par ses habitants.

Les carottes au Venezuela, ou comment le prix du pétrole a chuté

Vous en avez sûrement entendu parler à la télé, le prix du pétrole fait n’importe quoi en ce moment. Il était bien tranquillement au sommet de la montagne depuis plus de 3 ans, et là il se lâche. Un vrai saut à l’élastique, une chute vertigineuse de 100$ à 50$ en 6 mois 😯 . Tout le monde est content bien sûr. Les américains se remettent à acheter de grosses voitures qui consomment à fond 😎 . La Chine fait des stocks de pétrole pour pouvoir tenir 100 jours coupée du monde (ça ne représente pas grand-chose rassurez-vous, juste 680 millions de barils. En gros, c’est comme si on plongeait entièrement la ville de Lyon sous 2 m de pétrole). Grâce à la baisse du prix du pétrole, l’Europe va peut-être même retrouver ses supers pouvoirs et la croissance revenir magiquement !

Le prix du pétrole fait du saut à l'élastique, et ça crée des sensations ! | http://prixdubaril.com/
Le prix du pétrole (ici en $) fait du saut à l’élastique, et ça crée des sensations ! | http://prixdubaril.com/

Tout le monde est content ? Vraiment ? Hé non, il y a évidemment des ronchons, comme toujours lorsqu’une bonne nouvelle est annoncée. Les pays qui vendent du pétrole, par exemple, se plaignent. Forcément, avant ils nous vendaient leur pétrole à 100$ le baril alors que maintenant il n’est plus qu’à 50$ ! Dur dur pour les pays dont le pétrole représente une source d’argent (une rente) importante. Les spécialistes en géopolitique s’amusent à deviner lequel de ces pays est le plus en difficulté face à cette chute du prix. Ce qu’ils regardent en particulier, c’est le prix du baril sur lequel les gouvernements ont prévu leur budget. Au moment de calculer leur budget, les gouvernements exportateurs de pétrole ont prévu qu’ils gagneraient beaucoup de sous grâce au prix élevé du baril. Sauf qu’en cours de route le prix chute et leur budget devient tout faux. Ils gagnent deux fois moins de sous que prévu, hum, comment dire… oups la petite erreur ! :roll: Résultat, ils doivent s’endetter encore plus que d’habitude pour pouvoir continuer à mener leur politique. Citons quelques exemples :

  • la Russie avait prévu un baril aux alentours de 100$. Et pas de bol pour la Russie, sa rente pétrolière représente presque la moitié de l’argent reçu par le gouvernement (c’est-à-dire que le gouvernement russe gagne la moitié de son argent grâce à la vente du pétrole)… Vous avez peut-être entendu parler de la chute du Rouble, la monnaie locale. Se pourrait-il qu’il y ait un lien entre cette chute surprise et la chute du prix du pétrole ? Et bien vous comprenez que si le Rouble valait 0,03$ en juin (1$ valait 33,33Rb), quand je vendais mon baril à 100$, je recevais 3333 Rb. Aujourd’hui, le baril ne vaut plus que 50$, mais le rouble ne vaut plus que 0,015$. Donc en tant que russe, je reçois… toujours 3333 Rb ! 😎 Cette coïncidence n’explique par pourquoi le Rouble a chuté en même temps que le prix du pétrole ; ceci pourrait faire l’objet d’un petit article bonus.
    Hum, il y a comme une légère ressemblance entre le cours du Rouble par rapport au dollar et le cours du prix du pétrole... Y aurait-il un lien ?
    Hum, il y a comme une légère ressemblance entre le cours du Rouble par rapport au dollar, représenté par cette courbe, et le cours du prix du pétrole… Y aurait-il un lien ?

    Bon vous vous doutez bien que pour la vie de tous les jours ce changement de la valeur du Rouble mène à d’autres complications. Autant permet-il de gonfler les prix de ce que le pays exporte, autant cela marche exactement dans l’autre sens quand il importe des produits. Par exemple, le prix de l’iPhone en Russie a doublé pendant la même période. Beaucoup de russes sont d’ailleurs allés chez IKEA refaire le plein de meubles en voyant que les prix des produits étrangers allaient continuer d’augmenter, et donc que leur argent perdait de la valeur ! C’est un bel exemple d’inflation, et les russes y ont réagi en convertissant leur argent en biens matériels durables (voitures, meubles, qui conservent leur valeur quelques années) ! Voici un mini reportage belge sur le sujet.

  • Passons au Venezuela, un autre pays exportateur de pétrole. Le Venezuela a prévu, pour avoir un budget équilibré, un prix du baril supérieur à 100$ (certains disent que son budget serait équilibré pour un baril à 120$ !). Le gouvernement est tellement dépendant des ventes de son pétrole (c’est 45% du budget de l’Etat) qu’il va être très difficile pour lui de payer ses dettes. Dans ce pays qui a officiellement les plus grandes réserves de pétrole au monde (la classe !), le prix de l’essence à la pompe était le plus bas au monde (environ 2 centimes€/L !!) grâce aux subventions du gouvernement. Mais tout cela est terminé, car le gouvernement a décidé de réduire ces subventions. Et concernant les biens importés, on observe le même effet qu’en Russie, mais en bien pire. L’iPhone est passé à… plus de 11 000$ 😯 et le kilo de carottes à presque 20$.
    Quelques carottes au prix vénézuélien... Sans commentaire :s | http://widerimage.reuters.com/
    Quelques carottes au prix vénézuélien… Sans commentaire :s | http://widerimage.reuters.com/

    Certains produits sont très difficilement importés, alors les habitants sont rationnés et font la queue des heures et des heures pour avoir du papier toilette ou du dentifrice. Je paye moins cher à la pompe, la conséquence est qu’à l’autre bout du monde des gens manquent de papier toilette : c’est la magie de notre monde mondialisé ! 😕

  • On peut parler de l’Arabie Saoudite, qui fait elle aussi des pertes par rapport à son budget prévu. Mais à l’inverse des deux exemples précédents, l’Arabie a suffisamment d’argent en stock pour tenir ce régime mincissant pendant au moins 3 ans. Donc tout baigne (dans le pétrole) pour elle !

Vous le voyez, le prix du pétrole fait toujours des heureux et des moins heureux ! Mais je sens que plusieurs questions vous brûlent les lèvres : pourquoi le prix du pétrole a-t-il soudainement baissé comme ça ? Que disent les spécialistes sur la suite des événements ? Les prix resteront-ils si bas pendant encore longtemps ? On verra dans un prochain article les liens entre la croissance et le prix du pétrole, ce qui est important pour comprendre ce qu’il se passe, et donc pour essayer de prévoir ce que le futur nous réserve ! 😉